Des origines du numérique

Qu’avons-nous besoin de savoir pour pouvoir déterminer quand et comment l’architecture est devenue numérique? Ce dossier se concentre sur des projets réalisés dans les années 1980 et 1990, qui recoururent à des outils numériques pour explorer de nouvelles possibilités en matière de recherche et de pratique architecturales. Plutôt que de tenter de nous projeter dans l’avenir, nous tentons ici de produire une étude critique de la manière dont les technologies numériques ont concrètement transformé l’architecture.

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Le nuage et la forêt

Une conversation entre Greg Lynn et Cecil Balmond

GL
Le projet du stade de Chemnitz a eu beaucoup d’influence depuis sa publication en 1998 mais selon moi, ce projet n’a pas reçu toute la reconnaissance qu’il méritait.
CB
Vous avez raison. C’était un projet étrange. Lorsque je donnais des cours, sur la série de 150 ou 200 diapositives que je montrais en une heure et quart, il n’y en avait que deux du stade de Chemnitz. Et pourtant, les gens venaient toujours me voir à la fin du cours pour me poser des questions sur ce projet. C’était tellement radical! C’était un projet précurseur, où l’on découvrait le chaos, le numérique et toutes sortes de choses. Il a eu lieu avant le début de ma véritable période algorithmique. La majorité du travail était faite à la main. Ce n’était pas totalement numérique, mais nous n’aurions pas pu le réaliser sans ordinateurs.

C’était un projet étrange pour moi, qui a marqué un tournant dans mon travail: le passage des techniques traditionnelles aux techniques numériques. Ça a été un choc, comme un coup à l’estomac, de découvrir que toutes ces idées que j’avais lues et avec lesquelles j’aimais jouer autour de la théorie du chaos, de l’indétermination et du non-linéaire se retrouvaient dans ces expériences toutes simples que je menais dans mon travail, avec les cycloïdes par exemple. Je trouvais que c’était mon projet le plus dingue depuis des années. En face de moi, j’avais un jury d’Allemands très sérieux, des gens très importants, et j’étais sûr qu’ils allaient tuer le projet – mais ils l’ont adoré! Malheureusement, pendant ces années, tout l’argent partait pour reconstruire Berlin, donc mon projet n’avait aucune chance de voir le jour.
GL
Quel était le rôle du numérique dans ce projet, à la fois sur le plan technique et sur le plan théorique? J’ai l’impression que vous utilisiez l’analyse par éléments finis comme concept de dessin, plutôt que comme rationalisation d’un autre type de concept structurel.

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CB
Oui, c’est cela. J’ai été contacté par Peter Kulka, un architecte allemand réputé qui faisait des bâtiments pour le Parlement, et un jeune architecte, Ulrich Königs. Je suis allé à Cologne les rencontrer, et notre réunion a duré toute la journée. Le moment où j’ai été intrigué, c’est quand ils ont proposé une idée totalement naturaliste : si on construisait un stade qui soit en quelque sorte un non-stade? Un stade qui soit fait d’arbres, de nuages et de forêts? J’aimais le côté littéraire de cette idée. Et puis je savais qu’elle nous permettait de nous libérer de toute idée conventionnelle de ce qu’est un stade. Je leur ai dit : « D’accord, allons-y ».

On a bricolé un peu autour de cette idée et franchement, cela ne nous a mené nulle part. Je suis reparti, puis je suis revenu à Cologne deux semaines plus tard, et on a commencé à manquer de temps. La date de fermeture du concours approchait. Et on n’arrivait toujours à rien, alors je leur ai dit : « OK, laissez-moi faire. Je vais aller dans une autre pièce. Il faut que je réfléchisse un bon coup à ce qu’on est en train de faire. » Et là, j’ai compris d’un seul coup : ce qui se passait, c’était que le périmètre du site était une donnée du contexte. On voulait un toit qui soit un nuage flottant et transparent, on voulait des colonnes qui soient des forêts, et on voulait des gradins avec une double pente pour les spectateurs.

Alors comment fallait-il s’y prendre? Nous nous étions donnés trois objectifs flottants qui ne pouvaient jamais se rencontrer. C’était une approche formelle et le déclic a été de me rendre compte que la seule manière de résoudre la question était d’avoir un anneau qui fasse tout le tour du site sans fermeture à l’arrière, ce qui était une idée très étrange. Sur le moment, j’avais envie d’un toit qui s’envole dans l’espace, qui ait des qualités architecturales et qui raconte une histoire. Comment arriver à cela? Je n’en savais rien, mais je n’ai pas lâché mon idée et j’ai dessiné le périmètre, qui était la limite du site et la limite du bâtiment. J’ai étendu l’immeuble jusqu’à la limite. Il avait l’air de recouvrir le site tout entier. Il ne restait plus rien du site. Et à partir de là, je me suis demandé : « Comment est-ce que je vais faire pour soutenir tout ça? » Le seul moyen, c’était de lancer le tout dans l’espace. Littéralement, je suis parti de l’idée de lancer, avec l’image d’un arc de lancement. Jusque-là, il s’agissait d’un geste formel dans la tradition classique, de la résolution d’un problème architectural. Alors j’ai fait cette arche. J’aurais pu la fixer à un point formel, d’une manière conventionnelle, comme l’auraient fait Norman Foster et les autres. Mais je savais que cela aurait placé beaucoup de tension sur l’anneau et qu’il allait falloir qu’il soit énorme, alors j’ai décidé de simplement effectuer une courbe dans l’espace et de revenir au point de départ. Ensuite, nous avons refait la même chose une deuxième fois.

Je crois que c’était le premier de mes projets pour lequel j’ai généré autant de grilles réciproques. Bref, à force de superpositions, je me suis dit d’un seul coup : « Je suis en train de me fabriquer une espèce de théorie informelle dans laquelle il n’y a rien de clair, rien de distinct, et pas de catégories. Il faut qu’il y ait des superpositions. » C’est là que les ordinateurs ont commencé à me venir à l’esprit. J’ai réfléchi à comment traiter tout cela sous forme de calculs. Je crois que je venais de lire un livre sur les mathématiques dans la Grèce antique, et le mot cycloïde m’est apparu d’un seul coup. Je me suis demandé ce qui se passerait si je générais un cercle – un disque – qui se déplace sur un plan horizontal, et si je faisais deux trous dedans.

Je voulais faire une projection dans le noir qui montre comment la lumière traversait le disque mais je n’avais pas de chambre noire, alors j’ai abandonné l’idée. J’ai pris l’ordinateur et j’ai simplement créé un tracé à partir de la trajectoire d’un point. A ma grande stupéfaction, je n’ai eu à ajuster les paires de points que deux ou trois fois. J’avais d’abord un point fixe, qui me donnait une cycloïde parfaite, puis j’ai ajouté un autre point, et très vite les traces ont commencé à se superposer. Ce qui était vraiment génial, c’est qu’au bout de trois ou quatre jours, j’avais quelque chose de totalement dispersé, sans continuité, un désordre de lignes, un chaos total. Et au niveau du second trou dans le disque, j’avais cette incroyable symétrie sur le plan horizontal.

Et je me suis dit voilà, l’idée est juste devant mon nez : ces deux petits points sur le disque que je fais rouler figurativement sur l’ordinateur produisent du chaos ou bien, d’une certaine manière, de l’ordre. Voilà la solution. J’ai dit à Königs que j’allais travailler sur cette solution. Je pensais que ça allait donner une sorte de nuage fractal. Avec un de mes jeunes collègues qui venait de sortir de l’université, j’ai lancé ce calcul sur le tracé du bord : un disque qui roule sur le bord du site et qui tourne en rond, tout simplement. Au bout de deux ou trois tours, on obtient tout un fatras de spaghetti, suivant l’endroit où l’on place les points. Je me suis dit que c’était cela la solution. J’ai mis de côté toute considération structurelle. Ce que je cherchais, c’était une configuration, un motif quelconque. A ce stade, je dépendais complètement de l’ordinateur, car je savais que j’étais incapable de dessiner cela moi-même de manière rationnelle. J’étais obligé de faire confiance à l’ordinateur comme outil de dessin, et de lui donner de l’intelligence. A l’époque, je ne pouvais pas passer d’une courbe générée par ordinateur à un programme d’analyse structurelle.

Ensuite, j’ai créé un facteur restrictif, ce que l’on appelle un critère d’aptitude. C’est là que les choses ont commencé à devenir vraiment intéressantes : le moment où j’ai soudain compris que cette chose avec laquelle je jouais d’une manière abstraite était en train de devenir une sorte de bio-machine. A ce moment-là, j’ai pris un fil, un trou et une épaisseur de fil. L’autre trou avait une autre épaisseur de fil, et les deux fils interagissaient entre eux en se superposant, en se renforçant et en se connectant. Nous avons fixé des critères d’aptitude : par exemple dans le milieu, le fil ne peut pas dévier de plus d’un mètre et si cela se produit, alors le fil doit se rembobiner et ajuster le diamètre du cube qui le traverse.

Le tout fonctionnait comme une machine à tisser, ce qui était fascinant. Mais c’est là que je me suis rendu compte que, pragmatiquement parlant, je n’avais toujours pas de toit. Pour ajouter plus de complexité, j’ai pris la courbe intérieure qui devait être ouverte à l’air libre au niveau du pan du toit, et j’ai fait tourner un cercle dessus. La cycloide passait alors entre deux lignes variables comme des rails de chemin de fer. On pouvait prendre les rails, écarter leur espacement et les faire tourner l’un autour de l’autre. Une extrémité de la cycloïde passait à l’arrière du site, et l’autre extrémité parcourait la partie intérieure de l’anneau, ce qui faisait que la courbe s’écartait et se rapprochait. Ce moment-là a été très excitant : c’était comme si le disque « respirait », à mesure qu’on faisait évoluer et tourner les deux points avec leurs spaghetti. C’était un moment magique, et je me suis rendu compte qu’on avait assez de lignes de matériau pour former une structure. A la fin, je crois que j’ai fini par m’arrêter à trois tours de disque. Les tracés apparaissaient sous la forme d’éléments courbes, jusqu’à ce que je me rende compte que cela allait coûter très cher à fabriquer alors, pour des raisons pragmatiques, j’ai introduit un autre changement formel : j’ai redressé les courbes pour en faire des lignes saccadées.

C’est comme cela que j’ai obtenu ce toit magnifique que l’on voit sur les diapositives en noir et blanc que je montrais dans mes cours. Les gens poussaient vraiment des cris d’admiration en les voyant. C’est une autre très belle leçon que j’ai apprise : si l’on prend la tige d’une plante, qu’on la coupe et qu’on la regarde au microscope, les cellules capillaires qu’on voit dans la tige ressemblent beaucoup à ce toit. Chacune des courbes renferme des cellules, et le trou central est comme celui qui est au milieu de la tige de la plante.

Et donc d’un seul coup, tout était réuni. Il y avait l’ordre sous-jacent d’un algorithme sur lequel était construit ce système de configuration qui s’appliquait à un site de deux cent mètres, fait de tubes géants. Si la structure avait été microscopique, elle aurait ressemblé aux parois d’une cellule vue en coupe et magnifiée. Tout cela m’a convaincu qu’en 1994 ou 1995, j’avais réussi à prouver quelque chose en quoi je croyais, quelque chose que j’avais deviné instinctivement et que je recherchais depuis. Depuis ce jour, je n’ai plus jamais regardé en arrière. Même plus tard, lorsque j’ai travaillé sur des projets plus formels comme la Maison à Bordeaux, c’était toujours vers cette idée que je tendais, et c’est là que se situe mon travail aujourd’hui : un nid d’algorithmes.

Puis une autre épreuve s’est présentée à moi : si j’avais trouvé le nuage, alors où était la forêt? D’un seul coup, je me suis aperçu qu’il me suffisait de prendre des points simples et pragmatiques sur le sol, en évitant les zones où se trouvaient les sièges, et de les faire pencher en direction des points d’intersection les plus commodes sur le toit. Pour obtenir l’effet d’éparpillement, j’ai pris une grille carrée sur laquelle j’ai fixé les points, puis j’ai dupliqué la grille et lui ai fait subir une rotation. Ce procédé formel tout simple m’a permis d’obtenir une distribution chaotique.

D’un seul coup, tout était là. Kulka et Königs ont travaillé sur la double pente inférieure – représentée par le disque jaune sur nos maquettes – et moi j’ai fait le toit et la forêt. La structure du toit passait tout autour du stade comme une rivière. Tout le projet subvertissait l’idée traditionnelle du stade. J’aimais beaucoup ce travail et j’ai été très content quand nous avons gagné le concours. Et j’ai été consterné quand nous avons appris qu’ils n’allaient pas le construire.
GL
Qui faisait partie du jury?
CB
Le jury était composé d’ingénieurs de très haut niveau, les meilleurs en Allemagne, tels que Stefan Polónyi et Schlaich Bergermann. Il y avait aussi des architectes, mais le jury mettait vraiment l’accent sur la logique de la construction. Je pensais que mon approche radicale n’allait pas leur plaire mais en fait ils l’ont adoré. Polónyi avait beaucoup aimé le projet. C’était un type intéressant. Il avait fait le projet du Netherlands Dance Theatre project avec Rem Koolhaas à La Haye. C’était lui qui avait donné à Rem l’idée du toit vrillée – c’était très bien pensé.
GL
Est-ce que vous avez soumis des calculs avec votre projet? Ou bien seulement les dessins?
CB
Je crois qu’il n’y avait que les dessins. Le jury a peut-être demandé des diagrammes ou quelque chose dans le genre, mais je crois que pour eux le projet tenait vraiment debout. Pour quelqu’un comme Polónyi, c’était évident que cela fonctionnait.
GL
Est-ce que vous pensez que cela tenait à votre proposition? Ou bien est-ce que vous avez aussi donné un aperçu du processus algorithmique pour le concours?
CB
Je crois que j’ai montré deux schémas très élémentaires – des dessins faits à la main, probablement – pour illustrer la technique de calcul. Tout avait été analysé par quelques uns des ingénieurs les plus forts de chez Arup. Donc on était sûrs que ça fonctionnait. C’était de cela que je voulais être sûr.
GL
Est-ce que vous aviez déjà utilisé auparavant cette approche algorithmique qui repose avant tout sur la procédure dans des projets plus conventionnels?
CB
Oui, j’ai utilisé une approche algorithmique pour le projet d’UNStudio pour la gare d’Arnhem Centraal. C’était un algorithme qui permettait de générer le bâtiment tout entier à partir d’une seule action. Le projet a fini par être construit, mais il a été beaucoup modifié. L’algorithme de départ était probablement le plus remarquable que j’aie jamais fait, parce que toute la structure verticale était rattachée à la toute structure horizontale grâce à trois niveaux de programmation différents : un parking souterrain avec une grande grille structurelle qui traversait le hall, une gare ferroviaire qui n’avait pas de grille mais un espace ouvert, et au-dessus, un immeuble de bureaux d’un promoteur où la grille diminuait à des intervalles de dix mètres.

Tout cela se dessinait d’un seul mouvement. Mais pour être honnête, il ne s’agissait pas d’un algorithme informatisé : je partais plutôt de l’idée générale qu’une ligne génératrice pouvait produire tout cet ensemble en un seul mouvement, sans perdre sa logique. Mais l’idée se traduisait plus directement sous une forme tectonique. Je jouais avec une conception fluide de l’espace et du temps. Je m’intéressais à l’évolution du temps, et Chemnitz a été ma première occasion d’expérimenter avec cette idée. Quand je lançais l’algorithme, j’obtenais des réseaux différents sur le toit. En ce sens, il s’agissait d’un projet précurseur pour lequel je faisais évoluer le temps avec l’algorithme, plutôt que de faire évoluer l’algorithme dans l’espace.
GL
Et quand vous utilisiez un logiciel pour produire cette espèce de machine à tisser les relations, est-ce qu’il s’agissait d’un logiciel de génie des structures, ou d’un logiciel de dessin géométrique?
CB
Nous l’avons programmé nous-mêmes, en partant de zéro. Vous allez rire, mais nous avons testé le logiciel avec des feuilles de calcul Excel : en testant différentes ordonnées sur la courbe, puis en effectuant le tracé avec ce que j’appelle la méthode des différences finies. C’était une approche brute, qui utilisait plusieurs média différents. Je voulais être sûr qu’on obtiendrait des courbes lisses : c’est ce qu’Excel me permettait de vérifier. Plus tard, j’ai développé toutes ces idées dans mon travail, mais tout était déjà en germe dans le projet de Chemnitz.
GL
Comment vous êtes-vous rencontrés? Je sais que Königs faisait partie de l’Architectural Association.
CB
Oui, Königs était à l’AA et j’y avais donné des cours. A l’époque, Königs faisait partie du réseau OCEAN. Il m’a appelé, et m’a dit : « On a un plan. Est-ce que ça t’intéresserait de répondre à un concours avec nous? » J’étais un peu inquiet de travailler avec Kulka. Il était plus établi et il avait l’air d’être plutôt conservateur. Mais pour sa défense, je dois dire qu’une fois que je lui ai eu expliqué toute la démarche, il a été vraiment enthousiaste. A l’époque, je qualifiais mon approche d’ « informelle ». Mon livre Informal est sorti en 1998, et j’ai commencé à l’écrire vers 1994 après avoir présenté une conférence à Berlin sur le non-linéaire. Bref, Kulka m’a dit : « Tout ça, c’est nouveau. Je suis peut-être trop vieux pour ce genre de choses, mais ça me plait. » C’était vraiment lui qui menait la barque. Königs était un jeune architecte qui travaillait avec lui. On formait une excellente équipe.
GL
Et c’est au même moment que Charles Jencks et Jeff Kipnis ont organisé le colloque Architecture and Complexity. A l’époque, à l’AA, il y avait beaucoup d’intérêt pour le numérique, n’est-ce pas?
CB
Tout à fait. Il y avait Brian Goodwin, et aussi des gens du Santa Fe Institute.
GL
C’est intéressant que ce soit Königs qui vous ait mis en contact avec Kulka.
CB
Kulka n’aurait jamais entendu parler de moi autrement. Je crois que Rem aussi connaissait Königs. Il y avait toute une clique de jeunes autour de Rem. À l’époque, je crois que Königs aimait bien la liberté que donnait notre solution, et le fait qu’on pouvait travailler avec un matériau malléable, d’une manière totalement non-formelle. Mais pour moi, c’était avant tout la preuve fondamentale du pouvoir du numérique. Et surtout, c’était la preuve qu’avec un point de départ abstrait, on pouvait créer un potentiel énorme grâce à l’informatique. C’était un processus de dessin vers le numérique. Ce n’était pas simplement une mise en application de contenus existants. J’apprenais à travers le processus même.
GL
Et comment le numérique a-t-il changé votre rôle dans les projets, si Chemnitz vous a permis de fonder une nouvelle manière de travailler? C’est très intéressant de voir comment votre travail a été infléchi par les technologies numériques, et le potentiel qu’elles vous ont apporté.
CB
Je crois que le numérique m’a forcé à définir l’espace différemment. Et je crois qu’après cela, je ne suis plus jamais revenu en arrière. Je me suis aperçu que je formais des réseaux dans l’espace qui pouvaient être encadrés par des angles droits, ou bien qui pouvaient être complexes et entrelacés. J’ai compris que le numérique me permettait de raconter une histoire qui était différente d’une approche formelle. En suivant une méthode formelle, j’aurais analysé à rebours, trouvé des raisons à postériori pour dire : voilà ce que cela voulait dire. Les outils numériques m’ont apporté un sens nouveau. Chemnitz était une expérience. Il y a eu un « Euréka! », lorsque j’ai fait tourner les cycloïdes. Je ne sais plus comment je suis arrivé à cette idée, mais tout était là. Et quand j’ai trouvé ces deux points, en les faisant varier très légèrement dans chaque position, je savais que je tenais une idée très puissante.
GL
C’est intéressant de voir tout cela avant le développement de la puissance des ordinateurs. Quelqu’un pouvait écrire un code très succinct qui se déploie pour créer un projet tout entier. La manière dont vous avez décrit les disques tournants, qui dessinaient les lignes en spaghetti de la structure… C’était vraiment une époque où il fallait avoir une idée génératrice claire et efficace comme celle-là, parce que vous ne disposiez pas d’une puissance de calcul illimitée.
CB
Exactement. C’est sans commune mesure avec ce que l’on a aujourd’hui. Maintenant, je travaille sur un projet avec quatre algorithmes imbriqués, qui sont tous sophistiqués et se nourrissent l’un l’autre. A l’époque, notre manière de travailler était primitive. On se sentait comme des pionniers, en train de découvrir des terres nouvelles à mesure que l’on avançait.
GL
Est-ce que vous êtes encore en contact avec les gens qui travaillaient pour vous, qui ont participé à la programmation?
CB
Non. C’est vrai que j’étais tombé sur deux collaborateurs très intelligents et très alertes. Mais je me suis rendu compte que pour réaliser des projets comme Chemnitz, il fallait que j’invente une nouvelle manière de travailler. Alors j’ai formé mon propre groupe de travail, détaché de la structure traditionnelle d’Arup. J’avais des architectes et des ingénieurs qui travaillaient pour moi, et j’ai embauché à Cambridge un spécialiste de la théorie des jeux et un physicien expert en physique quantique. Ce physicien m’a écrit pour me demander de passer un entretien de recrutement. Je l’ai prévenu que nous travaillions sur des objets tangibles et de grande taille, tandis qu’il était habitué à des entités physiques microscopiques. Mais par la suite il s’est très bien intégré à notre équipe, car il arrivait sans préjugés. Autour de lui et de ces autres collaborateurs, j’ai rassemblé une véritable équipe d’élite : je l’ai appelée l’Advanced Geometry Unit (Unité de Géométrie Avancée), ou AGU, en hommage à Platon et Pythagore. Je considérais ce travail comme une nouvelle forme de géométrie. Avec l’AGU, nous avons travaillé sur toutes sortes de projets sur des échelles très différentes : le Twist Building et d’autres projets. Tout le travail à base de lignes génératrices simples et d’algorithmes s’est fait avec cette équipe, et donc dans mon nouveau studio bien sûr.
GL
J’avais déjà l’impression que Chemnitz avait fourni le modèle de l’AGU.
CB
Sans Chemnitz, je ne pense pas que l’AGU aurait pu fonctionner comme elle a fonctionné. On a besoin de matière pour se convaincre soi-même et avec ce projet, je me suis rendu compte que j’avais besoin d’une plus grande équipe pour arriver à faire ce que je voulais faire. On a passé un très bon moment ensemble. Ces types étaient tellement rapides et tellement forts – ils n’en finissaient pas de m’apporter des idées de tous les côtés. Pour chaque idée que je leur donnais, ils m’en apportaient cinq. C’était une période extraordinaire, vraiment formidable.

Le projet du stade de Chemnitz a été inclus dans notre exposition Archéologie du numérique : complexité et convention en 2016. Il est aussi le sujet d’une publication numérique à paraître bientôt, en anglais, dans notre série Archaeology of the Digital.

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