Pour celles et ceux qui arriveront
Lev Bratishenko anime une discussion sur le rôle de l’architecte dans le contexte de la migration, avec des réponses de Shumi Bose
En guise de prologue à cette conversation, nous avons publié cinq courts entretiens sur des projets de logements de masse moins connus du XXe siècle.
Nous savons que l’avenir nous réserve des migrations internationales sans précédent. Les estimations vont de cinq cents millions à plusieurs milliards de personnes qui fuiront les régions de la Terre devenues inhabitables, le processus étant déjà enclenché. Il est particulièrement injuste que ces migrants climatiques viennent pour la plupart des pays qui ont le moins contribué historiquement aux émissions de carbone, et qu’ils arrivent principalement dans les pays les plus riches qui sont les plus responsables de cette tragédie. Et nous voyons déjà l’« accueil » qui leur sera probablement fait : sous la menace des armes, avec des murs, des fils barbelés, des prisons, des camps.
Aujourd’hui, nous sommes davantage accoutumés à la capacité de l’architecture à maintenir les gens en dehors plutôt que de les accueillir, signe d’une résistance impliquant que les migrants sont ou devraient être, en quelque sorte, temporaires. Ensuite, ils sont censés rentrer chez eux et disparaître; ou, s’ils reçoivent l’autorisation de s’installer, on suppose qu’ils vont se fondre dans la population existante. Renoncer à leur caractère étranger.
Nous devons faire mieux. Quelles pourraient être alors les contributions de l’architecture? La série Pour celles et ceux qui arriveront explore les rôles et les responsabilités des architectes à l’égard des personnes migrantes.
L’architecture peut-elle accueillir les personnes migrantes avec humilité? Que peut-elle offrir entre les fantasmes de « solutions » complètes et l’irresponsabilité extrême, qui consiste à hausser les épaules et à dire qu’il s’agit d’un problème politique trop compliqué pour l’architecture?
Comment les architectes peuvent-ils construire pour des gens qu’ils ne connaissent peut-être pas ou qu’ils ont du mal à comprendre? Et quand l’action de construire cesse-t-elle d’être utile? De quelles autres manières l’architecture peut-elle accueillir celles et ceux qui arriveront?
Les cinq premiers épisodes mettent en avant des projets historiques de logements de masse en Corée, au Pakistan, au Pérou, en Grèce et en Afrique du Sud, qui ont répondu aux mouvements de population (ou les ont encouragés). Ces études de cas concernent différents types de « personnes migrantes », du familier à l’étranger, et du confortable au désespéré. Ces études de cas historiques ne doivent pas être assimilées à des modèles pour l’avenir; pour des raisons diverses, mais surtout parce qu’elles se concentrent sur la construction et le logement. Elles ne représentent qu’un seul type de responsabilité architecturale et un champ d’action limité pour l’architecture. Peu d’entre elles abordent l’idée de l’accueil, mais elles constituent un point de départ et devraient être mieux connues.
Les quatre épisodes suivants présentent des praticiens contemporains qui offrent une gamme inspirante de positions et d’approches, et partagent la même humilité et le même engagement à agir avec rigueur. Toutes les histoires qu’ils nous racontent illustrent les différentes façons dont l’architecture peut aborder l’enjeu de la migration. Elles mettent en évidence une variété de rôles qui incluent la construction, mais ne s’y limitent pas. Elles posent des questions et démontrent que de nombreuses présomptions sur les limites de l’attention et de l’action ou l’agentivité architecturales n’ont jamais été immuables : elles ont toujours été contestées, et pas seulement par les architectes.
Le cinquième épisode est une discussion sur les préoccupations communes et sur les moyens d’aller de l’avant.
Réfléchir aux questions posées par les migrations de masse conduit rapidement à la conclusion (plutôt évidente) que tout problème ne nécessite pas une intervention architecturale. Les architectes, s’ils veulent agir de la manière la plus utile possible, doivent être prêts à remettre en question les normes, à questionner leur pratique, les fonctions et les responsabilités qu’ils assument ainsi que celles qu’ils refusent.
Shumi Bose est chargée de cours au Central Saint Martins, à Londres.
Sarah Charlton est professeure associée à l’école d’architecture et de planification de l’université du Witwatersrand, à Johannesburg.
Alice Covatta est professeure adjointe d’architecture à l’Université de Montréal (UdeM).
Yasaman Esmaili est une architecte iranienne et la fondatrice du Studio Chahar.
Sharif Kahatt est professeur d’architecture à l’Université catholique pontificale du Pérou, à Lima.
Antigone Kotanidis a été chef du projet « Guérir les limbes » et est actuellement responsable du partenariat régional et de la conformité au Comité international de secours, à Athènes.
Soe Hwang est professeur adjoint à l’école d’architecture et de science du bâtiment de l’université Chung-Ang, à Séoul.
Wenke Schladitz est associée à l’agence christoph wagner architekten de Berlin.
Nadia Shah est professeure adjointe à l’Illinois Institute of Technology, Chicago.
Stavros Stavrides est professeur à l’école d’architecture de l’Université technique nationale d’Athènes.
Christoph Wagner est architecte et fondateur de christoph wagner architekten, Berlin.