La préservation relationnelle des lieux

Brooke Rice, Autumn Godwin, Marnie Jacobs et Amanda Lickers s’interrogent sur les actes de réciprocité et la transmission des savoirs liés à la terre

Placekeeping avec Autumn Godwin, Marnie Jacobs, Amanda Lickers et Brooke Rice
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Des extraits transcrits

Amanda Lickers

Brooke Rice, Autumn Godwin et Marnie Jacobs sont mes collègues, et le film Everlasting (Sans trêve) n’aurait jamais pu voir le jour sans leurs paroles, leur travail au sein de la communauté et nos pratiques communes. C’est une occasion précieuse de discuter avec elles de la notion de « placekeeping » (préservation relationnelle des lieux) sous l’angle de la gérance des terres et de la souveraineté autochtone, domaine où ce concept prend, à mes yeux, toute sa valeur.

Champignons. Photogramme du film d’Amanda Lickers Everlasting (Sans trêve), 2025. © Amanda Lickers

Marnie Jacobs

Je travaille à l’All Nations Gathering à Kahnawà:ke où je coordonne le programme Kahnawà:ke Community Cultural Homestead. Nous y cultivons et conservons des aliments, cuisinons sur feu de camp et organisons des ateliers et des cours pour transmettre ces savoir-faire. Notre lieu est ouvert aux autres communautés et groupes autochtones de la ville qui souhaitent y tenir leurs ateliers, leurs rassemblements ou cuisiner autour du feu.

J’ai commencé à conserver des aliments il y a plus de vingt ans. Mon aîné était encore tout petit et raffolait de la compote de pommes. Je me suis dit que je pouvais la faire moi-même, et plutôt que d’en préparer au coup par coup, j’ai appris les techniques de conservation dans des livres pour qu’il n’en manque jamais. C’est devenu une véritable passion : planter des carottes dans mon jardin, les récolter à la saison venue puis les conserver. Ou préparer ma confiture de framboises pour mes pains perdus. J’ai des réserves pour toute l’année, et c’est extrêmement satisfaisant de savoir que je peux nourrir ma famille sainement et la rendre heureuse.

Le prix des fruits, des légumes, de l’alimentation en général est exorbitant, donc pouvoir tout cultiver soi-même à partir de graines qu’on échange avec son voisinage… On chérit ses plantes, on leur chante des chansons, puis vient le moment de la récolte. C’est la nourriture de votre famille. C’est tellement gratifiant de savoir que j’en suis capable et de pouvoir transmettre ce savoir-faire aux gens de ma communauté. J’aime dire que c’est « de la terre à l’assiette », parce que c’est exactement ça.

Transformation de peaux de poisson. Photogramme du film d’Amanda Lickers Everlasting (Sans trêve), 2025. © Amanda Lickers

Autumn Godwin

Je suis l’une des cofondatrices des Buckskin Babes, une aventure lancée il y a cinq ou six ans sous la forme d’un camp urbain de tannage de peaux. Au départ, il s’agissait de créer des liens, d’accéder à certaines pratiques et de ramener la brousse en ville. Beaucoup d’entre nous ont dû quitter leurs communautés, et notre démarche visait donc à tisser des liens entre nous et à honorer les personnes aînées de nos communautés.

J’ai commencé à tanner des peaux à l’université. Je traversais une crise identitaire : je découvrais mon histoire et qui j’étais à travers des ouvrages universitaires, nos histoires racontées par d’autres que les nôtres. Ma mère et plusieurs membres de ma famille ont vécu dans des pensionnats, et même si je comprenais ce que je lisais, je me sentais complètement déconnectée. Je me demandais même ce que je faisais à l’université. Ma superviseuse est venue me voir : « Tu dois rentrer chez toi, te reconnecter à ta communauté, à ta famille, et entamer un processus de guérison. »

De retour chez moi, j’ai travaillé avec ma tante, une aînée respectée dans sa communauté qui vit de la terre. À sa sortie du pensionnat, elle s’est fixé une mission : parler sa langue, travailler avec les jeunes, connaître les plantes locales et préparer des remèdes pour prendre soin des gens. Jusque-là, je n’étais rentrée que pour des visites familiales, jamais pour apprendre les pratiques liées à la terre. Apprendre la pêche au filet, le tannage des peaux, c’était tout autre chose. On s’est consacrées uniquement aux remèdes, aux peaux et à la pêche, et ça a été une expérience incroyable. De retour en ville, de nouveau face à cette vie folle au rythme effréné, la rebelle en moi s’est dit : « Il faut ramener la brousse ici. »

Photogramme du film d’Amanda Lickers Everlasting (Sans trêve), 2025. © Amanda Lickers

Brooke Rice

Je suis la fondatrice de Tkà:nios, une initiative locale qui nous reconnecte à nous-mêmes, aux autres et à la terre en ralentissant le rythme et en honorant les cycles et les saisons. Nous organisons de nombreuses activités d’apprentissage liées à la terre pour renouer avec nos habitudes et nos aliments traditionnels. Nous cultivons de nombreuses variétés ancestrales héritées des Haudenosaunee : haricots, courges, maïs, tabac… L’idée est de constituer notre propre banque de semences, de ramatrier la terre avec nos graines. Nous proposons aussi des ateliers, des apprentissages pratiques, des transmissions intergénérationnelles en invitant des personnes aînées, détentrices du savoir local. On crée un espace sûr et bienveillant pour renouer avec la culture, insuffler une vie nouvelle aux anciennes traditions et les préserver pour les générations futures.

Ce soir, j’ai apporté du maïs. Le maïs a été pour nous un merveilleux professeur, un ancêtre, un remède. Bien plus qu’un aliment. Ce maïs est le fruit du travail de tant de mains, celles de nos grands-mères. La Femme du Ciel, notre mythe fondateur… Chaque petit grain contient une telle somme de savoirs génétiques et de mémoire que planter ces graines, cuisiner ces aliments nourrit notre esprit et réveille la mémoire ancestrale.

Mon histoire avec le maïs a commencé lors de mon apprentissage du kanien’kéha dans un programme d’immersion mohawk de notre communauté, dont un volet consistait à retrouver les cérémonies. Plus jeune, j’accomplissais les gestes, je chantais, je dansais, sans en saisir la signification. Revenir aux cérémonies a ravivé une petite braise en moi, j’ai enfin compris leur sens et notre responsabilité envers la terre.

Il ne s’agit pas seulement de prendre, prendre, prendre. Nous devons rendre à notre Terre Mère. En remettant ces graines en terre, nous assumons notre responsabilité vis-à-vis de nos traditions alimentaires, de nos ancêtres, de la terre, de nos enfants… Avant de planter, nous rendons hommage à toute la création : les oiseaux, les animaux, les êtres du tonnerre, la pluie, les étoiles, la rosée matinale qui nourrira ces graines, tissant ainsi le passé, le présent et l’avenir dans un continuum autochtone.

Photogramme du film Everlasting (Sans trève), 2025. © Amanda Lickers

Amanda Lickers

Dans le monde artistique occidental, il y a cette forte tendance à verrouiller les compétences et les savoirs pour professionnaliser la culture et en faire un produit commercialisable. La pratique du partage et du mentorat ouvert révèle toute la différence entre les approches artistiques autochtones et occidentales. Chez nous, cette connexion avec l’art est indissociable de notre vision du monde, de nos relations, de notre gouvernance, de notre science et de notre technologie.

Les forêts nourricières qui couvraient nos territoires avant la colonisation ont été surexploitées, déboisées et transformées en « ressources » du soi-disant Nouveau Monde. Ce processus a transformé une relation familiale en objet, fait passer quelque chose de vivant et d’animé à l’état de chose morte. C’est une relation hiérarchique où l’humain se place au-dessus de la nature.

Voilà ce contre quoi nous luttons constamment. Tout est interconnecté : notre vision du monde, notre gouvernance, notre art, notre science, notre technologie, le tout dans une relation réciproque avec les territoires. Everlasting (Sans trêve) tente de répondre à certaines de ces questions en se confrontant à l’héritage colonial et à notre rapport à un environnement urbain qui demeure un territoire non cédé, que nous continuerons d’occuper pour poursuivre nos pratiques.

Cet événement a été organisé dans le cadre de l’exposition et le film Everlasting (Sans trêve), produit par Amanda Lickers comme récipiendaire en 2023-2024 de notre bourse de recherche-création pour les chercheuses et chercheurs autochtones travaillant sur la restitution des terres.

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