Sortis du cadre : Gordon Matta-Clark

Revu par Yann Chateigné, Hila Peleg, et Kitty Scott

La série d’expositions Sortis du cadre de 2019–2020 est consacrée au travail de l’architecte et artiste conceptuel Gordon Matta-Clark, dont les textes, photographies, films, correspondances et œuvres d’art ont été produits entre 1969 et 1978, et donnés au CCA par sa succession en 2011.

Structurée comme une étude en trois actes, cette série d’expositions invite trois commissaires de parcours curatoriaux différents à explorer la méthode critique de Gordon Matta-Clark au sein de la scène architecturale de l’époque.

Yann Chateigné avec la bibliothèque de Gordon Matta-Clark, 2019 © CCA

Pensée matérielle

Yann Chateigné

Au cours des quelque dix années que dura sa courte période d’activité, l’artiste Gordon Matta-Clark se livra à une série de gestes qui constituent, au tournant des années 1960 et 1970, à New York et ailleurs, autant de points de bascule entre esthétique et politique de l’espace. Sa critique en acte de l’architecture – redéfinition radicale des fondements de la sculpture, extension du domaine de la performance – ses séparations (splittings) et coupes (cuts) de bâtiments, sont autant d’interventions spatiales formant le vocabulaire d’une pratique « anarchitecturale » de dé-construction (unbuilding).

La forme des œuvres de Matta-Clark, de nature collective, engagée, temporelle et située en dehors des espaces institutionnels, a favorisé la construction de son personnage d’(anti-)héros romantique œuvrant dans les ruines de la modernité. Or, cette image univoque a éclipsé la dimension historique et théorique d’une œuvre complexe aux références riches et multiples, et dont la créativité conceptuelle se fonde sur l’importance capitale du langage: la dimension poétique des textes de l’artiste et des titres de ses œuvres fait écho à une manière physique d’appréhender le langage de la ville et la syntaxe architecturale. Celles-ci sont nourries d’une variété de lectures qui se situent entre influences, emprunts et détournements.

Je prends la bibliothèque personnelle de Matta-Clark comme point de départ pour révéler pan méconnu de la pratique de l’artiste. Sa pensée matérielle, puisant à des sources parfois surprenantes, connecte des polarités opposées, mais suit cependant des lignes spécifiques. La collection d’ouvrages qui traitent à la fois de l’histoire de l’architecture et de l’histoire de la magie, des sciences de l’esprit et de la science des réseaux, d’anthropologie et d’écologie, nous permet de naviguer dans la partie immergée de la démarche de recherche en continue de Matta-Clark, dont les découvertes contestent les limites de la pensée architecturale. Ce processus est aussi témoigné dans sa pratique constante de l’écrit (notes, lettres, déclarations) et le flux continu d’investigations visuelles (photographies, dessins, croquis, extraits de films).

Je souhaite mettre l’accent sur ce qui précède à l’œuvre plutôt que sur la documentation de travaux réalisés. Cette proposition renverse en quelque sorte la logique sur laquelle a reposé la manière dont le travail de Matta-Clark a le plus souvent été montré : à la focalisation de l’attention sur les restes de ses interventions éphémères, je réponds par la présentation de ses recherches : à la réification de son processus collaboratif, je préfère la mise au jour des processus physiques, psychiques et conceptuels qui se situent en arrière-plan de l’œuvre.

Pensée matérielle, en somme, plutôt que de penser les archives de Gordon Matta-Clark comme un ensemble d’indices pointant vers un passé perdu, envisage l’œuvre de l’artiste comme un ensemble de fragments actifs, dont l’alchimie particulière recèle autant de vecteurs tournés vers l’avenir.

Hila Peleg étudie du métrage d’origine 16mm de Tree Dance, filmé en 1971. PHCON2003:0005:123, Collection Gordon Matta-Clark, Collection CCA.

Gordon Matta-Clark l’architecture comme dynamique par essence, faisant partie intégrante d’un système social et politique plus large, et influencée par des facteurs économiques, culturels et environnementaux changeants. Son observation fine des conflits et des contradictions apparus dans le sillage de la désindustrialisation massive et du prétendu renouvellement urbain (en particulier dans le contexte du New York et du Paris des années 1970) a nourri ses interventions artistiques critiques.

L’œuvre la plus emblématique de Matta-Clark est une série d’incisions méticuleuses et monumentales pratiquées dans des bâtiments abandonnés et délabrés à travers lesquelles il exposait l’identité propre de ces vestiges, les reliant à la fois à leur environnement immédiat et aux structures sociales et aux systèmes économiques plus vastes auxquels ils étaient intégrés. Ces « découpes de bâtiments » comme on les a appelées, illustrent tout le potentiel qu’ont les individus et les groupes pour créer des espaces, des structures et des systèmes différents, autodéterminés.

Les déclarations écrites par Matta-Clark indiquent que les découpes de bâtiments avaient été initialement conçues comme des expériences en direct – comme des performances plutôt que des objets. Cette approche éphémère signifiait que peu de gens auraient l’occasion de contempler les œuvres dans leur format original, puisqu’elles étaient condamnées, ou démolies peu de temps après leur réalisation. Matta-Clark a donc imaginé une démarche documentaire élaborée pour représenter les différentes étapes et dimensions de ces œuvres en vue de traduire l’action et l’énergie physiques extrêmes nécessaires à la transformation et à la démolition subséquente de chaque bâtiment. Lui et ses collaborateurs se sont servis des différents formats de film existant à l’époque pour rendre toute la complexité des formes achevées, qui ne se réduisait pas à un unique point d’observation. Ils se passaient donc la caméra pour créer des images « de tous les côtés » et ainsi multiplier les perspectives sur l’œuvre.

Chutes et premiers montages présente le contenu de rares bobines de film et vidéos originales, notamment des premiers montages et des chutes de la collection Gordon Matta-Clark du CCA, dont beaucoup sont projetées en public pour la première fois. Ces enregistrements « écartés » sont réunis pour offrir une compréhension plus large du contexte spatial et social de trois découpes de bâtiments et d’un projet collectif réalisés par l’artiste dans les années 1970 – Splitting (1974), Day’s End (1975), Conical Intersect (1975) et Food (1971) – avec en particulier des vues étendues sur les contextes environnants, des propos tenus par Matta-Clark sur les sites des projets et des rencontres avec le public qui observe les projets au fur et à mesure de leur déroulement Ils permettent d’en apprendre également beaucoup sur le processus cinématographique lui-même : les premiers montages révèlent une expérimentation avec une structure narrative non linéaire, créant une « séquence libre d’éléments », alors que les bobines non montées nous plongent dans la dimension de « temps réel » prise pour chaque projet.

En tant que documentariste, Matta-Clark avait le souci non seulement de conserver un enregistrement détaillé de ses propres projets artistiques, mais s’était aussi engagé, avec une grande véhémence, à proposer une observation, une interprétation et une représentation des réalités sociales et urbaines dans toute leur complexité.

Kitty Scott avec une photo prise en Haïti (1972) par Gordon Matta-Clark, 2019. PHCON2002:0016:013:006:005, Collection Gordon Matta-Clark, Collection CCA.

Ligne de fuite

Kitty Scott

L’œuvre de Gordon Matta-Clark, en tant que créateur investi dans les arts, l’architecture et la performance, a été documentée et décrite dans ses moindres détails. Cependant, rares sont ceux qui connaissent le vaste trésor que constituent ses photos de voyage, conservées dans la collection Gordon Matta-Clark du CCA, et qui ont été prises par l’artiste lors de ses nombreuses pérégrinations à travers le monde. Ligne de fuite met en scène pour la première fois une vaste quantité de ces photos de voyage, numérisées pour l’occasion afin d’être présentées au public. Si ces photographies rendent compte des voyages touristiques de Matta-Clark dans divers pays sur plusieurs continents, elles révèlent également une réflexion – et sans doute un type informel de recherche – liée à sa pratique artistique. Les thèmes qui déclenchaient les actions de Matta-Clark en contexte urbain, tels que la sociabilité, les vestiges architecturaux, la nourriture, le collectivisme et l’échange, constituaient pour lui, de toute évidence, des centres d’intérêt dans la plupart des endroits où il s’est rendu.

C’est en 1969 que Matta-Clark a commencé son activité artistique, à SoHo. Au cours des neuf années qui ont suivi, et ce, jusqu’à la fin de sa brève existence, il a beaucoup voyagé, souvent appareil photo en main. Ses voyages étaient parfois courts - des incursions dans des lieux moins connus de New York, dans des quartiers qui n’avaient pas encore été mis en valeur par le milieu artistique, ainsi que dans des États voisins, comme le New Jersey. D’autres voyages l’ont mené plus loin, comme à Chicago, Los Angeles, Miami et dans différents sites historiques du sud-ouest des États-Unis : Santa Fe, le Canyon de Chelly et le Chaco Canyon. Aux Antilles, il s’est rendu à Haïti et en Jamaïque. Il s’est promené au Mexique, visitant les ruines mayas de Chichén Itzá, et il a exploré plus avant l’Amérique latine, s’arrêtant au Guatemala, en Équateur, au Pérou et au Chili. Sa carrière évoluant, il s’est rendu en Allemagne, en Belgique, en France, en Italie et au Royaume-Uni pour différents projets.

Matta-Clark a photographié tous ces endroits en utilisant une grande variété de formats de pellicules analogiques, ce qui donne une collection composée de diapositives, d’épreuves en noir et blanc, de négatifs, de planches-contacts et d’épreuves en couleurs. Ces images, souvent aux allures d’instantanés pris en mouvement, ressemblent à une forme de prise de notes qui rappelle les nombreux carnets de croquis et autres fiches utilisées par Matta-Clark. Certains sujets reviennent dans les photographies prises en différents lieux, comme les modes de transport, les désastres naturels ou les expériences collectives. Cette exposition présente donc une sélection numérisée de ces photographies sous forme de panorama thématique, permettant au public de s’immerger véritablement dans une étude de l’interprétation de l’espace propre à Matta-Clark, et dans les nombreuses références trouvées au cours de ses voyages, qui ont sans nul doute influencé son regard critique constant sur l’architecture.

On trouvera ici un instrument de recherche pour la collection Gordon Matta-Clark.

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