Souvenirs imprévus
Naoya Hatakeyama en conversation avec Stefano Graziani et Bas Princen
Cette histoire orale a été filmée par Jonas Spriestersbach en décembre 2022 à l’atelier de Naoya Hatakeyama à Tokyo. Elle fait partie du projet du CCA Les vies des documents—la photographie en tant que projet, une réflexion ouverte sur la façon dont les pratiques passées et contemporaines de création d’images servent d’outils critiques pour lire notre environnement bâti et concevoir le monde d’aujourd’hui.
- BP
- Quel a été l’ordre de vos photographies du tsunami pour Kesengawa? Les deux premiers tiers du livre rassemblent des clichés de la région où vous avez grandi, pris avant le tsunami de 2011, presque comme un témoignage personnel de vos souvenirs du paysage. Qu’est-ce qui a changé pour vous en photographiant un lieu très intime – votre ville natale – avant et après le tsunami? Ressentez-vous une sorte de responsabilité envers ce sujet? Ce projet a-t-il un lien avec vos anciens travaux?
- NH
- Le tsunami fut un événement important dans ma vie et il est impossible d’exprimer ce que je ressens par de simples mots. Je veux expliquer son impact le plus simplement possible, mais c’est difficile parce que des choses importantes et sans importance se mélangent dans mon esprit, tout comme des sentiments différents.
Lorsque j’ai photographié les images de ce livre, je n’ai pas du tout réfléchi à l’histoire de la photographie. Si j’expose mes œuvres dans une galerie ou un musée, je pense toujours à leur place au sein de l’histoire de la photographie et à leur relation avec les artistes et les photographes de notre époque. Mais pour ce projet, je n’y ai pas du tout pensé. - BP
- Considérez-vous ces images comme des instantanés, des souvenirs dont vous ignoriez qu’ils deviendraient des souvenirs?
- NH
- Oui, chaque fois que je retournais dans ma ville natale, j’emportais un appareil photo, un 6 × 7. Je photographiais juste pour le plaisir.
- BP
- Mais s’agit-il encore d’instantanés?
- NH
- Oui.
- BP
- Et vous avez choisi un de ces instantanés pour la couverture de l’édition japonaise.
- NH
- Je pense que c’est une belle photo, une image qui renvoie à mes souvenirs d’enfance dans mon quartier.
RIKUZENTAKATA (2011 - )
Vie du projet
2011
Immédiatement après le tremblement de terre et le tsunami qui ont frappé l’est du Japon le 11 mars, Hatakeyama se rend dans sa ville natale de Rikuzentakata pour représenter leur impact
2011 – 2012
Exposition :
Natural Stories
Organisée au Musée de la photographie de Tokyo, Tokyo, Japon (2011), au Musée Huis Marseille, Amsterdam, Pays-Bas (2011) et au SFMOMA, San Francisco, É-U (2012)
2012
Exposition : Architecture. Possible Here? Home-for-all
A représenté le Japon lors de la 13e Biennale d’architecture de Venise, Venise, Italie
29 août – 25 novembre 2012
2012
Publication :
気仙川 Kesengawa
Publiée par Kowade Shobo Shinsha, Tokyo, Japon
2013
Publication : 気仙川 Kesengawa
Édition en français/anglais du livre de 2012
Publiée par Light Motiv, Lille, France
Une exposition connexe a été organisée par l’Espace Le Carré, Lille, France
2015
Exposition :
陸前高田 Rikuzentakata (2011–2014)
Organisée au Ginza Nikon Salon, Tokyo, et à l’Osaka Nikon Salon, Osaka, Japon
3 mars – 25 avril 2015 et 4 avril – 30 mai 2015
2015
Publication :
陸前高田
Rikuzentakata (2011–2014)
Publiée par Kowade Shobo Shinsha, Tokyo, Japon
2015
Exposition :
In the Wake: Japanese Photographers Respond to 3/11
Organisée par le Museum of Fine Arts, Boston, É-U
5 avril – 12 juillet 2015
2016
Publication : 陸前高田 Rikuzentakata
Publiée par Light Motiv, Lille, France
2016
Publication :
出来事と写真 Events and Photos
Publiée par AKAAKA Art Publishing, Tokyo, Japon
2017
Publication :
Cloven Landscape
Publiée par AKAAKA Art Publishing, Tokyo, Japon
2018
Exposition :
Naoya Hatakeyama. Rikuzentakata
Organisée au Lieu Unique, Nantes, France
6 septembre – 4 novembre 2018
2021
Essai :
心の陸前高田 Rikuzentakata of the Heart
Publié dans le numéro d’avril du 新潮 Shincho Magazine
2021
Exposition :
陸前高田 Rikuzen Takata 2011–2020
Organisée à la Biennale de Tokyo, Tokyo, Japon
10 juillet – 5 septembre 2021
2022
Publication :
見えているパチリ!I can see it!
Publiée par Katari Coco Bunko, textes de Naoya Hatakeyama et Akiko Otake
2022
Publication :
陸前高田市東日本大震災遺構 Memorial Ruins of 2011 Tohoku Earthquake in Rikuzentakata
Deux volumes publiés par AKAAKA Art Publishing, Tokyo, Japon
- NH
- J’ai pris ces photos pour des raisons personnelles, mais maintenant elles sont publiées. Ainsi, leur signification a changé après le tremblement de terre et le tsunami. Désormais, ce n’est plus seulement mon histoire, vous comprenez? Si le tremblement de terre et le tsunami n’avaient pas eu lieu, ces photos seraient restées dans une boîte et personne ne les aurait jamais vues. Mais parce qu’ils ont eu lieu, ces images se retrouvent à présent sur des pages de magazines, et elles ont soudainement acquis une nouvelle valeur. C’est impressionnant.
- BP
- Ceci signifie également qu’elles ne sont plus seulement pour vous, mais pour tout le monde. Si vous n’aviez inclus que des images prises après le tsunami, le projet aurait pu être considéré comme quelque chose de spectaculaire, ce qui, bien sûr, n’est pas le cas. En incluant ces instantanés pris avant le tsunami comme des lieux et des moments qui ont disparu et ne reviendront pas, vous insistez sur le fait que le livre n’est pas centré sur ce qui s’est passé, mais sur la façon dont les catastrophes sont vécues à un niveau personnel. Comment percevez-vous la juxtaposition des photographies prises avant et après la catastrophe?
- NH
- Le livre inclut un texte sur mon voyage de retour dans ma ville natale après la catastrophe. Je ne disposais d’aucune information, alors je m’y suis rendu à moto par un jour d’hiver. Je ne savais pas que ma mère était morte. Pendant mon voyage, j’ai écrit ce que je pensais, les images que j’avais en tête sur ce qui s’était passé et ce que j’avais trouvé. Je voulais opposer les photographies avant et après la catastrophe pour montrer ce fantasme d’un lieu qui n’existe plus. Ce paysage est perdu. J’ai inséré une page blanche pour diviser et contraster les deux catégories d’images. Mes souvenirs sont placés avant la page blanche, et les réalités que j’ai vues sous mes yeux se trouvent après.
- BP
- Ce projet a-t-il changé votre compréhension de la photographie, ou de ce qu’elle peut faire?
- NH
- Il y a des choses que les gens peuvent et ne peuvent pas faire, et la photographie permet de documenter cette réalité. On crée intentionnellement certaines photographies, et on en prend d’autres sans savoir qu’elles seront très importantes. Cette réception de Kesengawa et Rikuzentakata est quelque chose que je ne pouvais pas contrôler. Je n’ai pas conçu ce projet intentionnellement. Si l’art est une question de création, alors ce n’est pas une œuvre d’art.
- BP
- Peut-elle être une œuvre d’art pour les autres?
- NH
- C’est leur décision. C’est leur liberté.
- BP
- Mais préférez-vous que le public la perçoive comme un document?
- NH
- Je souhaite que les gens regardent les photos. C’est tout.
- SG
- Visuellement, votre travail a beaucoup de points communs avec le photojournalisme, mais il n’est pourtant pas photojournalistique.
- NH
- Non, car mon travail a été inspiré par mon expérience. Mes photographies peuvent partager un aspect visuel avec le photojournalisme, mais leur signification est différente. Le photojournaliste typique est capable de capturer un moment d’émotion. Je veux que l’on se concentre sur mes photos. C’est pourquoi je ne souhaite pas insister sur mon histoire. Quand on parle du tsunami, on fait référence à 2011. Mais cet événement a eu lieu il y a onze ans et j’ai continué à photographier la reconstruction et le rétablissement de mon quartier. Je crois que nous avons besoin de plus de temps pour réfléchir à ce qui s’est passé, il est donc important de ne pas trop insister sur le récit ou l’émotion.
- BP
- En tant que photographe, que pouvez-vous faire après cette longue expérience? Le projet a occupé une grande place dans votre vie pendant plus de onze ans.
- NH
- Je peux prendre une nouvelle photographie. Je peux commencer un nouveau projet, même s’il s’agit d’une seule image. C’est très important de continuer à prendre des photos.