Topologie et papier calque

Fala Atelier sur le fonds Umberto Riva

Umberto Riva, Plan d’étage et esquisses pour Edificio per abitazioni in via Conchetta [Maison d’habitation sur la via Conchetta], Milan, Italie, ca. 1981. Mine de plomb sur papier translucide. ARCH287918. Fonds Umberto Riva, CCA. Don d’Umberto Riva © Succession d’Umberto Riva

Nous ne connaissions pas dans le détail l’œuvre d’Umberto Riva. Au mieux, nous pourrions dire que nous étions sensibles aux plans de la Casa Miggiano, avec son mystérieux découpage tridimensionnel à la Kelly, et carrément renversés par la cheminée de la Casa Insinga. Riva était pour nous, comme sans doute pour la plupart, l’un de ces grands noms italiens illustres flottant dans le cosmos de l’architecture oû ils finissent par se fondre les uns aux autres.

L’invitation à participer à un « Chercher et raconter » sur les archives de Riva au CCA est donc arrivée comme une surprise. D’abord, à cause de notre méconnaissance avouée de l’architecte en question; ensuite, en raison de notre inexpérience manifeste en matière de travail sur des archives, peu importe sa nature. Peut-être fallait-il trouver dans notre vécu de « praticiens », ou encore dans l’échelle comparable de nos réalisations, quelque raison expliquant notre sélection.

Quelques éléments dans son œuvre ont tout particulièrement retenu notre attention. Si nous les avions déjà vus auparavant, les Case di Palma, massives et énigmatiques, et la Casa Frea, avec sa pergola magnifique et lumineuse, ont ravivé des souvenirs que nous pensions évanouis. C’est ainsi que, avant de nous envoler pour Montréal, nous nous sommes efforcés de glaner plus d’information, d’étudier et, pourquoi pas, de comprendre (même superficiellement) Riva, d’être en mesure de le situer, de lui faire une place dans notre bibliothèque à l’atelier.

En nous plongeant dans l’important matériel préliminaire fourni par le CCA, un thème s’est presque instantanément imposé : la forme. Pas la forme dans le sens volumétrique ou structurel du terme, mais la forme comme traitement des lignes dans ses dessins. La forme en tant que fin en soi, et non comme moyen d’aboutir; la forme en tant qu’architecture, sans égard à son échelle ou à la technique employée. La tension entre la banalité orthogonale des pièces et la liberté géométrique des éléments qu’on trouve dans le travail de Riva nous a amenés à nous interroger : dans un expressionnisme formel de cette nature, y avait-il pour nous matière à découverte? Pouvions-nous construire un raisonnement autour de l’idée du dessin à titre d’entité autonome au sein du projet (une obsession récurrente dans les nôtres)?

Dans une entrevue accordée à Hans Ulrich Obrist pour Pin-Up en 2019, Riva confiait qu’il trouvait « des points en commun entre ses plans et ses peintures » et expliquait que « ses plans présentent un certain degré d’autonomie formelle en tant que produit visuel ». Nous présumions que ce point de départ, peut-être un peu mince, pourrait être notre porte d’entrée dans l’univers de Riva, et une première ébauche d’idée a émergé : trouver un lien non circonstanciel entre l’autonomie de son dessin et l’autonomie des dessins de personnalités que nous avions étudiées au cours de la dernière décennie, dont les archives étaient conservées au CCA — Yoh, Eisenman, Siza —, en nous attardant à une courte période allant de la fin des années 1970 au début des années 1980. En plaçant Riva parmi des créateurs que nous connaissions bien, avec un sujet que nous avions exploré auparavant, dans un laps de temps circonscrit et sur lequel appuyer notre raisonnement, peut-être celui-ci nous permettrait-il d’arriver à une hypothèse fondée, réduisant la distance initiale nous séparant de son travail.  

Pause. Traversée de l’Atlantique

Notre première impression du CCA a été celle d’un mécanisme d’horlogerie aussi singulier qu’efficace. Si on laisse de côté certaines préconceptions qui nous venaient de loin, la logique des procédures et l’asepsie des archives ont donné un sens à ce que nous voyons maintenant comme une réalité concrète de ce que sont véritablement ces fonds généralement à l’abri des regards. À l’intérieur de ces dossiers et boîtes sans fin se cache l’architecture dans sa forme la plus pure et intraitable : la chose en soi, libérée de la pesanteur et de la banalité de la vie quotidienne. Une formidable équipe technique et humaine fait fonctionner la machine. Il semble, selon les meilleures pratiques de conservation, qu’il ne faille pas porter de gants blancs en coton lors de la manipulation des documents sur papier calque, sous peine de perdre la sensibilité de nos doigts.

Notre sélection s’est effectuée d’après un travail muséologique plus général et exhaustif, qui a donné l’exposition Des pièces à ne pas manquer au CCA en 2014. Les dessins les plus reconnaissables et représentatifs dans la collection du CCA avaient déjà été numérisés et étaient ainsi accessibles pour le public. En tant que tel, notre mandat n’était pas d’expliquer Riva au sens large, mais plutôt un fragment, une dimension parmi tant d’autres.

Quatre jours d’affilée, aimablement soutenus par Caroline, Anna, Geneviève et Catherine, qui ont mis à notre service leur précieuse expertise, nous avons ouvert les dossiers et parcouru tout le matériel disponible de Riva, presque intégralement des dessins au crayon sur papier calque. Sans doute trop impressionnistes dans notre approche, nous ne passions dans la plupart des cas que quelques secondes sur chaque page; parfois, une demi-minute; en de rares occasions, nous avons pris des notes.

Papier calque

On pourrait diviser les dessins à notre disposition en deux catégories principales : détails d’exécution et dessins répétés et retravaillés. De temps à autre, quelques plans d’ensemble; rarement, des perspectives ou études spatiales, ou même des études de matériaux ou de couleurs, comme les photographies de ses œuvres et ses peintures pourraient le laisser supposer. Notre première impression a été le sentiment de nous trouver en présence d’archives d’un concepteur de mobilier contraint de composer avec l’espace, et non l’inverse.

Ne croyant pas à l’immaculée conception d’un projet architectural, nous avons été tentés de croire que les archives consultées en ces quelques jours au CCA étaient incomplètes, préalablement triées par quelqu’un d’autre ayant décidé ce qu’il convenait d’exclure du champ d’étude de tout futur chercheur. Aucun architecte ne commencerait sa production à ce stade; du moins, pour ce qui nous concerne, c’est difficile à envisager.

À peu près tous les dessins que nous avons vus concernaient des projets de petite envergure et résidentiels. Des appartements et maisons, principalement, avec une attention étonnante portée à de menus aspects qui finissent généralement par se perdre dans le tourbillon de la vie. Communément, des centres de gravité étaient définis : une cheminée, un escalier, un placard, ou encore une balustrade. Plusieurs portes pivotantes étaient impeccablement dessinées, détaillées, remises en question, redessinées encore et encore.

Nous aimons à croire que la taille n’a pas d’importance. Les grands édifices sont souvent d’une architecture quelconque; les petits bâtiments peuvent changer le cours de l’histoire (et l’ont fait); une pièce est une petite ville; et une ville, une grande pièce. Peut-être est-ce notre point de vue parce qu’il nous représente bien, mais nous sommes convaincus qu’il convenait aussi dans une bonne mesure à Riva et que chaque ligne et intersection des centaines de pages que nous avions examinées en témoignait. L’échelle de ce qui comptait pour lui se mesurait par la clarté du moindre trait, que ce soit pour un mur ou une table, pas par les dimensions de l’ouvrage d’architecture qui en résulterait.

Topologie

Au fil de nos discussions durant l’exploration des archives, un certain type de topologie a fait son chemin dans notre esprit. Chaque détail, et chaque forme, avait plusieurs déclinaisons. De fines variations, souvent assez proches les unes des autres comme si le choix qu’elles représentaient avait été fait a priori, et que le dessin était une démarche d’essais et erreurs dans leur traduction sur papier.

La plupart des dessins étaient répétés cinq, six ou sept fois. À la même échelle, occupant le même espace sur chaque page. Des dessins répétés, souvent retravaillés les uns sur les autres en vue d’assurer ou de confirmer leur validité. La présence de l’auteur, ses conflits page après page, tout cela sautait aux yeux.

Il n’y avait par contre peu ou pas de variations dans les espaces proposés. Les pièces étaient définies, comme taillées dans la pierre, et seuls les éléments et objets s’y trouvant avaient la possibilité d’interagir; quelques élévations intérieures ici ou là, la plupart du temps pour encadrer une étagère ou un escalier en particulier, et une créativité limitée quant aux aspects volumétriques des pièces en question.

Nous avons à l’occasion découvert des plans et, malgré les dessins complémentaires, mais fréquents, de chacun d’entre eux, difficile de parler de véritable expérimentation. À l’image des pièces qu’ils représentaient, ces plans étaient statiques, immuables. On aurait même pu penser à des rénovations de palais anciens, dont les murs devaient absolument être préservés. En tant qu’anciens étudiants à Porto, bien que nous n’aimions pas trop nous définir comme tels, cet ensemble de dessins a causé chez nous un certain malaise, comme si l’on y voyait une provocation quant à l’idée de définition spatiale en soi. Si la forme était censée être pour nous le point de départ, voici que nous nous retrouvions confrontés à une compréhension tout à fait différente de cette notion. À un moment donné, il nous fallait faire fi de cette quasi-absence de séparation entre espace et mobilier, et des dessins qui y renvoient, pour pouvoir avancer.

Notes techniques

Tous les dessins que nous avons vus ont été réalisés à la main, au crayon, même les plus récents. De petites traces de ruban adhésif, ainsi que les longs traits au crayon, indiquent qu’ils ont été effectués sur une table à dessin munie de barres parallèles. Tous créés dans le même style, avec la même précision, presque comme s’ils avaient été préparés par une seule et même personne sur une période couvrant quarante ans, sans inventivité dans leur processus d’élaboration. Nous n’avons trouvé que très peu de dessins à main levée, comme si la précision d’une règle était indispensable dans l’ensemble du processus. Sur quelques-unes des pages, de petites annotations renvoyaient à des références de mesures et de matériaux.

Contrairement à ce que les images des projets bâtis pouvaient laisser penser, la couleur était presque totalement absente des dessins que nous avons examinés. Il y avait de très rares exceptions, certains éléments précis étant mis en valeur, bien que la couleur employée ne reflète pas celle qu’ils auraient plus tard dans leur forme achevée, servant là encore de simple expression graphique. En regardant les photographies disponibles des œuvres construites, nous sommes amenés à présumer que les peintures, teintes et nuances ont été choisies sur le site même, pendant le chantier; et, sans doute, que le facteur couleur était laissé en suspens jusqu’à cette étape.

Nous avons eu le sentiment que chaque dessin nécessitait une longue réalisation, probablement émaillée de nombreuses pauses-cigarette. La justesse de chaque trait et l’absence de fluctuation entre les versions le font penser. Chaque page était consacrée à une sorte de dessin, qui se trouvait pris en référence, reflété ou répété sur les pages suivantes. Ici et là, nous avons trouvé quelques photocopies, uniquement destinées, là aussi, à ce que l’architecte dessine à nouveau dessus. Fréquemment, de petites annotations textuelles indiquaient les multiples dimensions des détails dessinés – marches, rampes d’escalier, étagères. Comme mentionné, dans de très rares cas, une perspective appuyait le travail principal réalisé sur la page, tracée discrètement dans un coin; à la différence des pages de Siza, celles de Riva étaient « closes » une fois achevé le dessin qui devait y être présenté.

Une théorie. « Un compositeur »

Les strates de documents que nous avons pu consulter dans le fonds Umberto Riva représentent un ensemble incroyablement cohérent de dessins. Constants par leur format, leur méthode, et peut-être même leur finalité. Il s’agit d’un portfolio qui témoigne d’une méthodologie de projet très particulière qui a été raffinée et répétée sur des décennies sans contradiction apparente. Il ne varie pas : si l’on prend une page au hasard dans un dossier quelconque, difficile de deviner à quelle époque ou à quel projet elle se rapporte. Sans doute s’agit-il d’une grande réussite, une sorte d’incohérence cohérente exhaustive.

Probablement que les projets de Riva sont intemporels, qu’ils n’appartiennent pas à une période définie. Du quasi-brutalisme des premières maisons de vacances à la légèreté de l’escalier en acier de la Casa Righi, tout aurait pu être fait au début des années 1960, à la fin des années 1990, ou quelque part entre les deux. Plus nous nous plongions dans ses dessins, plus l’idée est devenue claire.

Revenir à la base, la forme — dans son expression la plus directe —, c’était ça, indéniablement. Mais la notion d’autonomie à laquelle se référait Riva, ce n’est pas celle que nous cherchions, du moins pas sous cet aspect. En fait, les formes dans ses dessins étaient plus libres que dans bien des cas, mais s’inscrivaient dans un cheminement pour parvenir à une fin, sans être une fin en soi. Avec chaque angle, et l’intersection d’un tel angle avec une courbe soignée, il s’agissait de produire une étagère et de peaufiner le cadre d’une fenêtre, pas juste de faire « un dessin », comme nous l’avions pensé naïvement.

Riva était un compositeur. Du matériel analysé, telle est la conclusion qui s’impose. Il n’y a pas de concept fort ou d’architecture mue par une idée principale qui donnerait ces espaces et objets. Dans son processus conceptuel, son instinct se devait d’être mobilisé, le ramenant à l’essentiel, à la constance. Il y a lieu de s’interroger quant aux fondements théoriques de ses arguments décisifs (avec ses clients ou collaborateurs) : existaient-ils seulement? Certains dessins laissent un sentiment de méthode accidentelle de grande précision, s’il peut en être. La manière dont Riva menait un projet était en prise directe avec son propre intellect, une réalité extrêmement compliquée à transmettre à un successeur sous forme de marche à suivre. Peut-être faut-il voir là, c’est une théorie, la raison pour laquelle son œuvre architecturale est moins connue que celle de certains de ses contemporains. Ses projets bâtis constituaient l’étape ultime de son travail, s’offrant à la contemplation plutôt qu’à la rationalisation. Il travaillait et retravaillait chaque dessin, même si nous n’avons pas toujours su trouver une distinction entre les différentes versions; mais c’est sans doute notre problème, pas le sien.

Filipe Magalhães et Ana Luisa Soares (Fala Atelier) étaient en résidence au CCA en janvier 2023 dans le cadre de Chercher et raconter, un programme qui encourage de nouvelles lectures de la collection du CCA soulignant divers aspects de la pertinence intellectuelle actuelle de celle-ci.

Résidence associée

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