Documenter le mode de vie inuit
Olivia Lya Thomassie explore les dessins de Tuumasi Kudluk
Tuumasi Kudluk, né en 1902 près de Kangirsuk, au Nunavik, était un homme cultivé et exceptionnellement doué pour la chasse. Il a illustré la vie des Inuits et le territoire sur lequel il vivait, en y incluant souvent des transcriptions orales et des textes descriptifs pour expliquer son œuvre. Forte de plus de mille deux-cents dessins et plusieurs sculptures, sa production représente la plus grande collection d’objets réalisée par un seul artiste que possède l’Institut culturel Avataq, un organisme qui conserve de nombreuses œuvres d’artistes originaires du Nunavik.
Tuumasi Kudluk était aussi mon arrière-grand-père. Bien que je ne l’aie jamais rencontré, puisqu’il est mort plus de dix ans avant ma naissance, je sais par l’aîné de mes cousins qu’il avait un sens aigu de l’humour. Je le constate également moi-même en parcourant la collection Avataq. Je remarque aussi qu’il a vécu dans deux mondes parallèles en même temps ; le premier, celui de la vie nomade des Inuits et le second, le monde que les Blancs ont apporté dans le Nord.
Ces deux réalités me fascinent. Ma tante m’a raconté un jour comment les communautés du Nunavik ont été établies en fonction des postes de traite de la Baie d’Hudson et sans aucune corrélation avec les endroits où les Inuits avaient l’habitude d’installer leurs camps d’un voyage à l’autre. Elle aurait par exemple souhaité que la communauté où se trouve Kangirsuk soit plutôt située à Qinguaq, en amont de la rivière, là où le poisson abonde. Les illustrations de Tuumasi Kudluk liées à la terre et aux moyens de transport m’en disent plus, surtout les dessins sur le transport des bateaux à l’aide de traîneaux à chiens. Les personnes vivant dans le Sud ignorent souvent qu’il y a un été dans l’Inuit Nunangat, ce qui nous fait tous oublier ceci : que faisaient les gens avec leurs chiens s’ils ne voyageaient pas avec leurs traîneaux?
Les Inuits qui vivent dans le Nord et pratiquent encore la chasse et la pêche au quotidien connaissent le territoire comme leur poche, contrairement à ceux qui, comme moi, travaillent dans des bureaux en ville. Il peut être difficile pour les personnes qui ne sont pas allées sur le territoire sans arbres de comprendre la relation entre les Inuits et la terre, mais les dessins de Tuumasi Kudluk en donnent un aperçu singulier.
Certains de ses dessins montrent des igloos, des outils et des savoirs traditionnels. D’autres illustrent les stations météorologiques, le nouveau magasin coopératif, les gens qui possèdent des armes à feu et les maisons construites en bois. Les œuvres de Tuumasi Kudluk ne sont pas uniquement précieuses pour une personne comme moi, avide de découvrir l’histoire de sa famille et de sa culture, mais elles constituent également des documents précieux, nés d’un regard inuk sur une période de transition dans les modes de vie de l’Inuit Nunangat. Même si ce sont surtout des travailleurs non inuits du Nunavik qui ont documenté cette période, les dessins et les sculptures de mon arrière-grand-père sont appréciés et contribuent de manière significative tant à la compréhension du point de vue inuit qu’à celle des réalités de son époque.
Cet article a été écrit pour notre publication ᐊᖏᕐᕋᒧᑦ / Ruovttu Guvlui / Vers chez soi : Conceptions inuites et samies du lieu.