Autres sens, autres espaces

On aspire ici à remettre en question la prédominance du sens visuel en architecture. Sentir la ville, goûter l’asphalte et ériger des bâtiments avec de la neige et de la glace. Il s’agit de mieux comprendre les qualités subtiles et sensorielles de l’environnement bâti en étudiant les possibilités de le transformer par le biais du contrôle climatique, de l’expérience kinesthésique du son et de modes d’orientation par un jeu d’ambiances. Manifestement, nos sens influent sur tous les aspects de notre interaction avec notre environnement. On peut donc se poser la question : comment une nouvelle conscience sensorielle permet-elle de recomposer des espaces?

Autres sens, autres espaces

On aspire ici à remettre en question la prédominance du sens visuel en architecture. Sentir la ville, goûter l’asphalte et ériger des bâtiments avec de la neige et de la glace. Il s’agit de mieux comprendre les qualités subtiles et sensorielles de l’environnement bâti en étudiant les possibilités de le transformer par le biais du contrôle climatique, de l’expérience kinesthésique du son et de modes d’orientation par un jeu d’ambiances. Manifestement, nos sens influent sur tous les aspects de notre interaction avec notre environnement. On peut donc se poser la question : comment une nouvelle conscience sensorielle permet-elle de recomposer des espaces?

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Contrô­ler le confort

Texte de Manfredo di Robilant

Tout au long du XXe siècle, l’accroissement spectaculaire du nombre et de la complexité des systèmes techniques utilisés dans les bâtiments a joué un rôle essentiel tant pour les bâtiments eux-mêmes que pour leurs utilisateurs et occupants. Éclairage électrique, chauffage, climatisation et outils de télécommunication ont créé un besoin accru d’espace « technique ». Ce besoin est à l’origine d’éléments de construction comme les plafonds suspendus et les parquets flottants, ainsi que du dilemme de cacher ou non les systèmes techniques. Les systèmes techniques ont largement suscité l’espoir d’un environnement maîtrisé assurant le bien-être ou le « confort » (mot à la mode depuis les années 1960 dans les disciplines liées au bâtiment). L’architecture nord-américaine du milieu du XXe siècle offre plusieurs études de cas illustrant les questions soulevées par la diffusion massive des systèmes techniques.

Considérons deux publicités, la première pour l’American Iron and Steel Institute; la seconde pour National Electric Products, parues dans la revue Progressive Architecture en janvier 1951 et en février 1953 respectivement. Ce mensuel américain et ses compétiteurs Architectural Forum et Architectural Review, formaient alors une sorte de triptyque sur les étagères de n’importe quel architecte nord-américain aspirant à être « moderne », peu importe ce qu’on entendait par là. Dans ce triptyque, Progressive Architecture se distinguait pour son soutien aux courants les plus internationaux de la profession.

Progressive Architecture. Janvier 1951, p. 106. CCA. W.P765

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La première publicité visait à promouvoir l’utilisation de conduits d’acier dans les systèmes de chauffage radiant, accordant une attention particulière aux établissements scolaires. L’annonce provenait de l’association des producteurs d’acier américains, le Committee on Steel Pipe Research, fondé en 1908. L’image reflète l’optimisme suscité par une économie en plein essor : souriant et le regard brillant de curiosité, un jeune écolier de 2e ou de 3e année intervient dans sa classe. Le slogan nous apprend qu’il s’appelle Johnny. Malgré le paysage enneigé en arrière-plan, le jeune Johnny porte seulement un tee-shirt à manches courtes. Le cadre de la fenêtre de la classe, probablement fait de métal, est très léger; l’isolation semble donc très faible. Le bien-être de Johnny tient à la performance du système de chauffage radiant enfoui dans le plancher ou le plafond de sa salle de classe.

Progressive Architecture. Février 1953, p.8-9. CCA W.P765

La seconde publicité provient d’une entreprise privée de Pittsburgh aujourd’hui disparue. Elle visait à promouvoir le « Nepcoduct », un système de pistes pour câbles électriques ou téléphoniques conçu pour les nouveaux immeubles de bureaux. Une main géante, incarnation menaçante du pouvoir des grandes sociétés, déplace un employé sur un plan de bureau comme il le ferait d’un pion dans un jeu d’échec. Le slogan (« Déplacez John n’importe où ») souligne la flexibilité qu’autorise le Nepcoduct grâce à son organisation spatiale des bureaux.

En faisant un bond dans le temps, nous pouvons imaginer rencontrer de nouveau Johnny, devenu un jeune adulte nouvellement entré sur le marché du travail comme col blanc. Celui-ci a quitté le paysage banlieusard de son école primaire chauffée par panneaux et travaille maintenant dans un immeuble de bureaux, dans un centre-ville densément peuplé. Les systèmes technologiques sont toujours présents, avec leur pouvoir surprenant, bien que Johnny semble maintenant être davantage victime du progrès qu’il n’en profite. Le texte explicatif signale les propriétaires de l’édifice où travaille John, les firmes qui l’occupent, les architectes et les constructeurs. Tous sont censés s’intéresser à la flexibilité et aux bas prix offerts par le Nepcoduct. D’autre part, John perd toute autonomie résiduelle devant l’entreprise qui l’emploie en raison de la performance des câbles enfouis dans le parquet flottant.

La performance des édifices de l’après-Seconde Guerre mondiale est devenue une question importante du débat sur l’architecture, en particulier en Amérique du Nord. On a critiqué ces bâtiments en raison de leurs caractéristiques architecturales « intrinsèques », telles que l’interaction entre formes et fonctions de l’édifice et la manière dont celui-ci agit sur le paysage alentour. Mais on a aussi reproché à ces bâtiments d’être des machines à produire des environnements intérieurs où l’air et la lumière sont contrôlés. Cette exigence était encore plus grande dans les édifices non résidentiels, dans la mesure où l’on considérait que pour obtenir une production efficace dans les usines, les bureaux ou les boutiques, il fallait offrir des espaces de travail confortables.

D’autre part, on remarque que le secteur résidentiel exprime la même attente. « Le style à l’américaine jouit d’une performance cachée » peut-on lire en octobre 1950 dans le populaire mensuel House Beautiful, consacré à la décoration intérieure des maisons. Le journal n’est pas engagé dans la lutte pour diffuser des formes architecturales considérées comme véritablement « modernes », bien qu’il prône un nouveau style identifié aux États-Unis, dans la période triomphale de l’après-guerre. Du point de vue de House Beautiful, le « style à l’américaine » doit se fonder sur la performance des systèmes technologiques enfouis dans les maisons, et partant, sur le confort des occupants.

En Amérique, dans les années 1940 et 1950, l’architecture suscite de grandes attentes, en particulier par rapport aux progrès visant les éléments de construction et les systèmes techniques. Les préoccupations environnementales n’ont pas encore vu le jour et la surproduction ne menace pas l’industrialisation. « En Amérique, les producteurs […] sont en bonne position pour influencer l’architecture contemporaine » peut on lire en janvier 1948 dans l’éditorial de The Architectural Review.

La grande confiance envers le progrès technologique favorise la contribution d’autres secteurs industriels. Le mariage entre architecture et industrie dont avait rêvé l’avant-garde européenne des années 1920 et 1930 a finalement lieu, bien qu’il ne passât pas par l’ingénierie et la révolution sociales comme le souhaitaient les tenants de l’avant-garde, mais par le marché.

Progressive Architecture. Novembre 1946, p. 39. CCA. W.P765

Une troisième publicité provient d’une série commandée par Chrysler Airtemp; elle est parue dans Progressive Architecture en novembre 1946. Chrysler Airtemp était une filiale de la Chrysler Corporation, qui avait transféré au marché de la construction les progrès accomplis dans le secteur de la climatisation automobile. Le slogan souligne comment l’air conditionné améliore la productivité des cols blancs. Si nous nous accordons la liberté d’imaginer une chronologie à la biographie de John à partir des publicités, nous pouvons l’imaginer travaillant dans son bureau après avoir quitté la grande société du centre-ville. Le nouveau bureau est petit; peut-être se trouve-t-il près de son ancienne école de banlieue, mais la technologie permet encore une fois de faire de John un travailleur productif plutôt qu’un écolier curieux.

Dans les années 1950, les systèmes technologiques utilisés dans les espaces de travail des cols blancs nord-américains jouent un double rôle. D’une part, ils assurent un bien-être autrefois impossible et une indépendance par rapport au climat; d’autre part, ils contribuent à limiter l’autonomie individuelle des travailleurs. Confort et contrôle vont de pair, comme le suggère Johnny–John.

Manfredo di Robilant était un chercheur en résidence au CCA en 2012.

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