Des origines du numérique

Qu’avons-nous besoin de savoir pour pouvoir déterminer quand et comment l’architecture est devenue numérique? Ce dossier se concentre sur des projets réalisés dans les années 1980 et 1990, qui recoururent à des outils numériques pour explorer de nouvelles possibilités en matière de recherche et de pratique architecturales. Plutôt que de tenter de nous projeter dans l’avenir, nous tentons ici de produire une étude critique de la manière dont les technologies numériques ont concrètement transformé l’architecture.

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Archéologies de l’information

Molly Wright Steenson sur les projets Oxford Corner House et Generator de Cedric Price

En 1970, C. Peter McColough, le PDG de Xerox, disait : « Nous cherchons à penser l’information comme un environnement naturel non-développé qui peut être clos et rendu plus habitable pour les gens qui y vivent et y travaillent. » Il annonçait alors la création du centre de recherche Xerox PARC. Que signifie rendre l’information habitable? Le problème est explicitement architectural.

Il n’est pas inutile de réfléchir à la formule de Kittler, citant Nietzsche, selon laquelle « nos outils d’écriture travaillent aussi sur nos pensées », ou encore à l’idée de Cornelia Vismann d’une in-format-ion, c’est-à-dire du formatage de l’information. Les questions de formatage sont fondamentales si l’on veut comprendre la façon dont information et architecture se recoupent.

Je m’intéresse à la manière dont Cedric Price a représenté l’information, et dont il a utilisé l’architecture comme une façon d’aborder la question des réseaux d’information et des moyens de communication. Le projet de l’Oxford Corner House qu’il a commencé en 1966 était une étude de viabilité pour Lyons Corner House, une chaine de restaurants autrefois florissante qui connaissait alors des difficultés. J. Lyons Ltd., la compagnie qui avait créé les restaurants, était aussi à l’origine du premier ordinateur à usage commercial en Grande-Bretagne – le LEO – en 1953. Ils l’utilisaient pour gérer le registre du personnel et les stocks. On peut dire sans trop exagérer que l’Oxford Corner House était en quelque sorte la première information hub, et c’est ainsi que Price le concevait.

Cedric Price. Oxford Corner House, Londres : analyse de réseau. 1965-1966. Encre et traces de mine de plomb sur papier, 38 x 70,6 cm. Fonds Cedric Price. Collection CCA, DR1995:0224:114

Dans les archives de Cedric Price au CCA, on trouve de nombreux diagrammes de réseaux représentant des services d’information. Il y a un usager, un clavier, une machine conversationnelle, puis cet encadré annonce : « Immense processeur par lots desservant toutes les régions. » Price a fait rentrer dans ce diagramme une grande quantité d’espace en réseau, mais aussi des éléments liés à l’avenir des bibliothèques, du livre et des études, et à l’accès à la puissance de l’informatique. Il évaluait comment différentes activités sociales et différentes activités d’apprentissage pouvaient être distribuées et comment on pouvait répondre à leurs besoins. Des diagrammes de réseaux montrent l’information qui entre et est transmise aux téléscripteurs. À l’époque, les ordinateurs n’avaient pas de moniteurs et Price proposait d’utiliser des téléscripteurs, des caméras et des écrans. L’information parcourt le diagramme de réseaux et elle est ensuite distribuée dans l’ensemble du bâtiment. Il s’agissait d’une entreprise d’information immense. Price estimait qu’elle nécessitait un ordinateur IBM de 840 000 livres, et entre vingt et cinquante opérateurs pour le faire fonctionner et apporter l’information à chaque utilisateur à un moment donné. Price et Lyons ont étudié le placement des écrans pour un usage optimal de l’information. Les flux d’information structuraient ce qui se produisait dans l’espace architectural. Price pensait aussi que les étages devaient pouvoir se soulever et s’abaisser. Il a fait des recherches sur ce que cela impliquait – des ascenseurs devaient déplacer des piscines. Les étages devaient créer des espaces transformables suivant les usages et les besoins.

Price a utilisé les techniques de représentation graphique de l’information dans plusieurs projets. Les schémas de réseaux pour le Generator et le Fun Palace sont sans doute les mieux connus. Celui destiné à l’Oxford Corner House, identifie les « facteurs nécessitant une définition matérielle » et les « éléments de la conception d’ensemble pour une étude de viabilité », mais aussi les « facteurs fondés sur la supposition ». Chacun d’eux est accompagné d’un graphique de probabilité qui montre les chances de réalisation, mais aussi les possibilités d’amélioration des connaissances qu’on pouvait en retirer. Il y a quelque chose de l’ordre du jeu dans ces schémas, mais ils sont aussi très sérieux. Ils semblent renvoyer à des choses comme la gestion par chemin critique et d’autres outils de gestion de projet des années 1950.

William R. Martin. Séquences d’aménagement d’un site. Extrait de Network Planning for Building Construction, Londres, Heinemann, 1969, p.21. CCA. W3664; ID:87-B16832

Price avait un exemplaire de Network Planning for Building Construction de William R. Martin, et un diagramme dans ce livre montre la façon dont ce genre de modèle peut fonctionner, en présentant les possibilités d’imprévu et le chemin critique pour la réalisation du projet.

Price était un grand catégoriseur de toutes choses, et la taxinomie du monde était pour lui une manière d’y comprendre l’architecture. Dans ce projet de stockage de l’information, chaque chose a un numéro spécifique. Le premier numéro indique la classe générale, le second le type de processus. Mais ces données ne sont pas architecturales au sens traditionnel. Price envisageait une véritable ontologie à travers ce processus et il identifiait les possibilités, grâce à un système informatique massif, de diffuser ce processus à l’ensemble du monde de façon à fournir de l’information. Mais ils ont finalement utilisé des cartes perforées. On fait passer une aiguille à travers l’ensemble des cartes et celles que l’on cherche tombent. On pouvait utiliser cette méthode pour découvrir des « concentrations de fumée tendancielles au niveau du sol », par exemple. EAT – Experiments in Art and Technology – a employé un procédé similaire pour son système de correspondances entre artistes. C’était très peu couteux, et essentiel au processus de recherche de Price.

Cedric Price. Generator : plan d’emplacement légendé. Entre 1976 et 1979. Crayon de couleur, plume à pointe poreuse et encre à tampon sur diazotype sur papier, 35,7 x 70 cm. Fonds Cedric Price. Collection CCA, DR1995:0280:406

Generator, que Price a développé entre 1976 et 1979, est la visualisation d’un ensemble de démarches différent. Ici, il montre les possibilités de l’informatique distribuée, de l’interaction distribuée, du jeu et du retour constant à l’indétermination. Dans un entretien avec Hans Ulrich Obrist en 2003, Price a dit que la définition de l’architecture ne définissait pas nécessairement la consommation qui en est faite. Il n’y a pas de forme construite dans le projet Generator – comme c’est le cas pour presque tous les projets de Price – si bien qu’il n’y a pas de point de départ et de fin évidents. Generator est un projet architectural réceptif et reconfigurable pour la White Oak Plantation en Géorgie, à la frontière entre la Géorgie et la Floride, commandité par Howard Gilman. Il s’agit d’un jeu de pièces, composé de 150 cubes de 12 pieds réagençables et de panneaux disponibles dans le commerce. Il y a des sources et des passerelles, et l’idée est que, à partir de cette grille, on puisse se promener et avoir toutes les expériences récréatives ou artistiques imaginables. Au début, un certain nombre de plans étaient fournis mais ensuite, les usagers pouvaient demander ce qu’ils voulaient de Generator.

Cedric Price. Generator, vue du maquette électronique fonctionnel, vers 1976. Épreuve couleur chromogène sur carton, 17,3 x 12,6 cm. Fonds Cedric Price (AP144), CCA. DR1995:0280:108

Un peu plus tard, Price s’est rendu compte qu’il aurait peut-être du mal à obtenir que les gens déplacent en effet les pièces de Generator. Il s’est alors adressé à John Frazer et a commencé à travailler avec lui afin de trouver des manières d’inciter les gens à faire autre chose. Frazer a proposé d’équiper toutes les pièces de Generator de capteurs – des petits microcontrôleurs – et de créer un programme qui suivraient chacune des pièces de façon à fournir une méthode de modélisation. C’est ce que Frazer a appelé des sous-bocks intelligents. On pouvait les déplacer et la localisation de chaque pièce apparaissait sur l’écran avec un commentaire. Si les pièces de Generator n’étaient pas déplacées suffisamment souvent, il s’ennuyait et exécutait ce que Frazer a appelé un programme d’ennui. Si rien n’était fait pendant un certain temps pour modifier le site, l’ordinateur commençait à générer des plans et des améliorations spontanés. Dans une note manuscrite adressée à Price, Frazer écrivait : « Si on donne un coup de pied à un système, le moins qu’on puisse en attendre, c’est qu’il nous réponde par un coup de pied. Tu sembles suggérer que nous ne sommes utiles que si nous produisons des résultats qui sont inattendus. Je pense que cela mène à une définition de l’assistance informatique en général. Je vais y réfléchir. Mais entre-temps, il y a au moins une chose qu’on peut attendre de n’importe quel programme pas trop mauvais, c’est qu’il produise au moins un plan qu’on n’attendait pas. »

Ce texte est un extrait de Quand le numérique marque-t-il l’architecture?. Vous pouvez voir d’autres objets numérisés des projets Oxford Corner House et Generator dans nos instruments de recherche.

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