Catalogage critique et descriptions réparatrices

L’une des premières étapes concernant l’évaluation de la façon dont le CCA, en tant qu’institution culturelle, a reproduit ou perpétué les dynamiques coloniales consiste à recenser et mettre de l’avant les points de vue et sujets qui ont souffert d’une absence de reconnaissance. Et nous croyons qu’une telle démarche passe forcément par l’examen et la critique des pratiques établies utilisées pour décrire notre collection. Ces descriptions influencent et déterminent même la manière dont les objets de la collection sont trouvés et interprétés, tant au sein du CCA qu’à l’extérieur. Tout préjugé intégré au langage et au cadre employés dans les descriptions, possiblement porteur d’iniquité et de racisme systémique, aura donc une incidence sur les travaux que celles-ci doivent contribuer à produire. Les pratiques descriptives ne sont pas neutres : le choix des renseignements inclus et exclus des descriptions de la collection est influencé par les déformations professionnelles, les normes nationales et internationales de création de métadonnées et une terminologie qui traduit souvent une vision du monde particulière.

Notre processus d’examen a commencé en septembre 2020 et s’est concentré sur l’adoption d’un langage inclusif et juste, non seulement chez celles et ceux qui produisent, mettent à jour et diffusent les descriptions de la collection, comme les archivistes et bibliothécaires, mais également chez les personnes qui mettent en œuvre et réalisent des projets faisant appel à des objets de la collection. Nous ne sommes pas des experts de l’ensemble des thématiques et contextes auxquels renvoient les pièces de la collection du CCA, et revoir ces descriptions nécessite un effort de recherche et de consultation à la fois de nos pairs et des communautés concernées pour parvenir à élargir nos connaissances. Par exemple, dans le cadre du programme Careers in Art History Internships de l’Association of Research Institutes in Art History (ARIAH), le CCA a accueilli en avril 2021 dix étudiants et étudiantes pour une collaboration d’un mois, au cours de laquelle ceux-ci ont mené une analyse critique et une identification des lacunes dans les descriptions d’objets de la collection de photographies. En outre, nous avons tenu des rencontres de consultation avec des institutions similaires effectuant une démarche semblable, notamment le Chicago History Museum, la Morgan Library, le Clark Art Institute, le Getty Museum et le Getty Research Institute.

Pour entamer l’étude et le réexamen des descriptions d’objets et mesurer la forme que pourrait prendre un tel projet de catalogage critique, nous avons choisi de centrer notre attention sur la collection de photographies. Plus précisément, nous avons passé en revue les termes descriptifs et mots-clés utilisés ou, au contraire, absents. Nous avons ainsi constaté une prédominance évidente des histoires des idées architecturales européennes et nord-américaines. Bien que la finalité de la collection du CCA n’ait jamais été d’ordre encyclopédique, nous avons recensé des manques importants dans la prise en considération de perspectives différentes. Nous avons également colligé et analysé une série d’exemples d’emploi de langage préjudiciable et entrepris une réflexion sur la façon d’éliminer celui-ci, en particulier dans les titres composés (attribués par un catalogueur ou un archiviste).

Il convient ici de faire une distinction entre décrire un objet et le classifier. Les préjugés systémiques et personnels émergent souvent dans la façon de répertorier une information, par exemple dans le choix des rubriques ou du catalogage d’un objet par rapport à d’autres contenus. L’emploi d’un langage inapproprié dans la description d’un objet, son titre notamment, peut avoir pour cause l’insuffisance de connaissances chez la personne qui l’a formulé, ou simplement une évolution linguistique, ou encore le poids de pratiques descriptives problématiques passées. Pour cela, outre l’identification du langage nuisible, nous souhaitons remédier aux absences et aux insuffisances informationnelles. Ce que nous apprenons à la lecture des définitions et classifications tendancieuses, inadéquates et dommageables dans la collection de photographies servira pour notre réexamen de d’autres fonds du CCA, dont les collections de dessins et estampes et la collections de la bibliothéque même si les normes de description et de gestion diffèrent d’un cas à l’autre. Et bien que les enregistrements et désignations (d’objets) soient habituellement le fait des bibliothécaires, catalogueurs et archivistes, les personnes œuvrant sur les expositions, programmes publics et publications apporteront leur contribution au travail de recherche, d’analyse et de rectification du langage employé pour définir et légender les objets.

À l’automne 2022, nous avons entrepris un examen complémentaire de nos fonds d’archives. Après une période de recherche, nous nous sommes engagés en 2023-2024 dans un processus d’élaboration de stratégies et flux opérationnels novateurs pour décrire et mettre en contexte les fonds du CCA dans une approche plus inclusive et équitable. Notre objectif est de remettre en cause et bouleverser nos normes en vigueur dans tous les aspects du cycle de vie de la gestion archivistique, de l’acquisition à la description et jusqu’aux modalités d’accessibilité de nos archives.

Le premier volet de cette démarche consiste en une analyse des pratiques passées du CCA grâce à un audit des instruments de recherche. Ce dernier est un instrument de recherche, alimenté par les archivistes durant le traitement, qui permet aux utilisateurs de comprendre les rapports complexes entre les différents groupes de dossiers et de trouver le matériel qu’ils cherchent. Pour créer nos instruments de recherche, nous appliquons une combinaison de normes internationales et de nos propres normes institutionnelles. S’ils favorisent la découverte, à l’instar du catalogage et de la classification, les instruments de recherche sont éminemment subjectifs et peuvent entretenir l’iniquité et le préjudice.

Nous passons actuellement au crible les instruments de recherche dont nous disposons et recueillons, à l’aide d’outils automatisés, des données sur l’utilisation de terminologie inadéquate, le manque de renseignements contextuels et les lacunes qui peuvent s’y trouver. Ce travail préparatoire nous permettra de repérer au sein de nos descriptions les problématiques les plus urgentes, de manière à établir des priorités quant aux modifications à apporter. Au printemps 2023, nous avons bénéficié, en appui à cette initiative, d’une généreuse subvention de 50 000 $ dans le cadre du programme pour les collectivités du patrimoine documentaire de Bibliothèque et Archives Canada. La prochaine étape consistera à dégager des orientations probantes afin de proposer de nouvelles descriptions pour rendre nos archives le moins préjudiciables possible pour notre public et en faisant place à des points de vue jusqu’alors occultés. Nous espérons que ce projet fera ressortir les carences existantes dans nos normes et flux opérationnels actuels et que nous serons ainsi en mesure de traduire ce que nous avons appris en pratiques quotidiennes plus inclusives et équitables concernant les archives du CCA.

Depuis la fin de 2021, le groupe de travail sur le catalogage critique a passé en revue, amendé ou remplacé quelque 350 de ce qu’on appelle des « titres composés » d’objets dans la collection de photographies et qui contenaient du langage sensible, dommageable ou problématique. Au départ, les listes de termes constituées par des collègues travaillant dans d’autres institutions, comme les membres de l’Inclusive Description Working Group des collections spéciales de la Princeton University Library, ont guidé les recherches sur de tels objets. Progressivement, nous en sommes venus à les distinguer sur la base de nos propres évaluations d’une terminologie potentiellement problématique dans le contexte de l’architecture et de son histoire. Même si l’on pourrait voir ici un simple exercice de remplacement de mots ou de réécriture de phrases, les efforts entrepris par le groupe de travail vont bien au-delà. Dans la vaste majorité des cas, un processus de recherche est indispensable pour comprendre le contexte historique de la situation dans laquelle une photographie a été prise. Ceci nous a permis de mieux identifier et nommer des personnes et des populations, des lieux ou des utilisations de bâtiments. Ces renseignements nouvellement acquis conduisent à une reformulation de titres composés visant à refléter l’importance qu’accorde le CCA à l’orientation réfléchie du public vers les circonstances et relations exprimées dans une photographie. Fondamentalement, l’idée est que les initiatives menées par le groupe de travail ouvrent la voie à une découvrabilité plus inclusive et rigoureuse des éléments constitutifs de notre collection.

Pour autant, nous n’effaçons pas les titres jusqu’alors préjudiciables, cela dans une volonté d’être transparents dans nos dossiers. Les titres inscrits ou imprimés restent aujourd’hui affichés par défaut, même s’ils comportent un langage problématique, parce que nier leur existence serait une fausse solution. Les titres construits dommageables plus anciens figurent encore dans notre système de gestion des collections, mais ne sont pas publiés sur notre site Web. De plus, nous renumérisons de grandes parties de notre collection de photographies pour présenter des images complètes, non recadrées, dans leur matérialité historique. Cela améliorera la perception du caractère relatif de la position choisie par le photographe : la photo propose une perspective possible, parmi de nombreuses autres. Et ces points de vue changent, évoluent, vieillissent avec le temps, tout comme les photographies elles-mêmes. Une des conclusions les plus surprenantes à laquelle est arrivé le groupe de travail sur le catalogage critique a été la prise de conscience que les dénominateurs géographiques sont ceux qui posent souvent les plus grands défis en matière de révision des titres, parce que les terres sont contestées au fil des époques, les frontières se transforment en même temps que les noms et que, dans de trop nombreux cas, les modes autochtones de dénomination et d’interprétation du territoire n’ont pas été reconnus. À l’avenir, voici une dimension dont nous souhaitons tenir compte de manière plus systématique.

De l’analyse en profondeur et continue des photographies individuelles et de leur description exigée par le catalogage critique s’est forgée l’inévitable conviction que le préjudice ne tient pas uniquement aux termes descriptifs eux-mêmes, mais est en fait inhérent à l’acte de photographier et aux intentions historiques du photographe et/ou de ses commanditaires. C’est une charge dont il est impossible de se soulager par un simple changement des mots avec lesquels on l’habille ; l’effort de reconnaissance à y consacrer est d’une tout autre nature.

La somme des expériences acquises par le groupe de travail nourrira une version nouvelle et mise à jour de notre Guide de catalogage des photographies, lequel intégrera le catalogage critique à la pratique normalisée de catégorisation des objets muséaux pour la collection de photographies. Notre intention est d’assurer la diffusion de ce guide sur GitHub, de publier nos observations et, de façon générale, de donner un accès ouvert à la consultation de nos méthodes de recherche à nos collègues et homologues institutionnels.

Nous entendons donner à notre démarche toute la transparence qui s’impose en mettant à jour ces pages tous les six mois pour refléter les progrès et contretemps, en mentionnant les personnes qui apportent leur contribution.

Si vous désirez communiquer avec nous pour tout commentaire, question ou préoccupation, veuillez nous écrire à [ref@cca.qc.ca] (mailto:ref@cca.qc.ca).

Contributeurs actuels et passés : Justine Couture, Louise Désy, Jillian Forsyth, Elisabeth Genest, Mary Gordon, Anna Haywood, Catherine Jacob, Alexandra Jokinen, Hester Keijser, Nina Patterson, Céline Perreira, Sara Pimentel, Jennifer Préfontaine, Shukri Sultan, Flo Vallières et Martien de Vletter.

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