Ce projet dirigé par la commissaire émergente 2022-2023 du CCA Clarissa Lim Kye Lee s’engage auprès des collectifs artistiques et culturels de l’archipel malais dans le but de s’inspirer des écologies collectives malaisiennes et de leur relation à l’environnement urbain afin d’organiser des activités et des rencontres et de développer de nouvelles pratiques communautaires.

Pour les collectifs artistiques et culturels de l’archipel malais, il est souvent difficile de trouver un lieu pour la pratique artistique. Cela étant dit, ces groupes élaborent des stratégies pour localiser et rénover des espaces propices aux rencontres et à leurs pratiques, puisant à même le tissu social (ici compris en tant que cultivation d’un ensemble de pratiques relationnelles) afin de développer des relations au sein et en-dehors de leur environnement urbain et de leur communauté immédiate. Making Mamak¹ prend pour point de départ les constats suivants :

1) Les collectifs artistiques et culturels vivent dans des conditions de précarité et doivent occuper des espaces dont la valeur est déterminée exclusivement par les intérêts capitalistes.
2) Les collectifs artistiques et culturels établissent leurs propres lieux communs à travers le concept du care. Le care se développe à travers les liens d’amitié et de parenté et permet le développement de réseaux à travers de nouveaux territoires.

Plutôt que de s’attaquer directement à un monde de l’art mondialisé et dominé par le capital, les collectifs artistiques et culturels malaisiens se tournent vers l’organisation communautaire. Ce faisant, ils adoptent des stratégies pour développer de nouvelles formes de production artistique et d’engagement social, tout en transformant le tissu urbain existant afin qu’il accommode mieux leurs pratiques. On peut ainsi dire qu’il existe une relation bidirectionnelle entre l’environnement social et les écologies collectives. En effet, plusieurs collectifs développent un sens du gotong royong², étendant leurs collaborations du niveau communautaire à l’univers social au sens large.  

Dans la capitale multiethnique et transnationale de Kuala Lumpur (tout comme dans d’autres centres urbains de Malaisie) les collectifs culturels et artistiques s’établissent dans des bâtiments représentant une grande variété de formes architecturales. Ces formes vont du bungalow à un étage aux locaux commerciaux des banlieues nanties, en passant par les espaces de bureaux. Les collectifs transforment ces structures physiques en lieux sociaux permettant les échanges culturels entre différentes communautés locales. Que ce soit dans un espace pour la performance artistique, dans une exposition d’arts médiatiques ou dans un mamak improvisé dans un coin pour cuisiner et manger, ces rencontres alimentent toutes les formes de pratiques culturelles et artistiques collectives. C’est ce rôle du social (incluant la sélection, l’acquisition, la maintenance et l’opération d’espaces collectifs) qui manque actuellement à l’étude de l’art et aux discours culturels sur l’architecture : celui d’une pratique sociale développée dans un esprit de collectivisme régional qui informe les façons dont les lieux sont occupés et entretenus.

Making Mamak offre une trousse d’outils pour développer de nouvelles formes de rencontre et de réunion. Conçu sous la forme d’une série d’ateliers pour tous les travailleurs culturels, organisateurs sociaux et membres de communautés, cette trousse a été développée afin d’aider les gens à s’impliquer dans les formes locales de création et de rencontre basées sur la communauté. En apprenant des collectifs artistiques opérant dans les centres urbains de Malaisie, nous pouvons former des liens avec notre propre communauté, développer de nouvelles formes d’aide mutuelle, nous approprier des espaces collectifs, et mettre sur pied des mouvements sociaux concrets à travers les pratiques artistiques, culturelles et spatiales.

Un atelier forum qui fait dialoguer les pratiques de divers collectifs artistiques et culturels malaisiens, suivi d’un événement public ouvert à tous les collectifs locaux partageant les connaissances acquises, aura lieu le 28 avril 2024. La trousse d’outils sera activée à Montréal au CCA en juin 2024.

Clarissa Lim Kye Lee est une travailleuse culturelle basée entre Hong Kong et Kuala Lumpur, via Penang. Elle est actuellement candidate au doctorat à l’École d’architecture de l’université chinoise de Hong Kong et est récipiendaire du Hong Kong PhD Fellowship Scheme et du CUHK Vice-Chancellor’s PhD scholarship. Travaillant à l’interstice de la culture visuelle, des arts et de l’architecture, sa recherche révèle l’influence urbaine des collectifs artistiques en Malaisie.

Sa pratique inclut la production, le commissariat et la gestion de projets artistiques et culturels sur le web. En tant que travailleuse culturelle, elle a commissarié des projets avec le Centre d’arts de Hong Kong, géré des projets d’installations pour la Biennale d’architecture et d’urbanisme de Séoul (2021) et la Biennale de Shenzhen & Hong Kong d’urbanisme et d’architecture (2015), et a également conçu des expositions à Berlin, à Hong Kong et à Vienne. Elle a écrit et édité des textes publiés dans Design Anthology, Lensa Seni, Lanai Zine, Suburbia Projects et autres.

Elle a auparavant porté le titre de Hubs for Good Scholar à l’Université de Malaya, poste financé en partenariat avec le Conseil britannique de Malaisie dans le but de rédiger un rapport et compiler une base de données sur plus d’une centaine de foyers créatifs dans la région. Elle a également donné des cours à l’université de Hong Kong, au Malaysian Institute of Art, et à l’université chinoise de Hong Kong.

Elle vit actuellement sur l’île de Lamma, à Hong Kong, où elle jardine avec les chiens du quartier et sa communauté.

Clarissa a été sélectionnée en tant que commissaire émergente 2022-2023 et développera Making Mamak en partenariat avec le CCA.

Collectifs artistiques
Papan Haus (Petaling Jaya)
Fondé pendant la pandémie, Papanhaus est un espace culturel expérimental détenu et géré collectivement à Petaling Jaya. Il s’agit d’un espace de rassemblement pour des conversations intergénérationnelles et interconnectées. L’espace est un terrain de jeu, propice à la créativité et à l’expérimentation qui accueille des ateliers, des expositions et des conférences sur l’art, l’architecture et le design.

Little Giraffe Story House (Selangor)
Reconstruite dans un bungalow de plain-pied à Batu 11, il s’agit d’une bibliothèque communautaire pour enfants qui propose des activités éducatives et artistiques communautaires. Lieu de rassemblement collectif, elle abrite également un café, des stands de rojak, une galerie d’art communautaire, des ateliers d’artistes, un bureau et un loft.

Coex @Kilang Besi (Penang)
COEX est un centre communautaire à Georgetown qui offre des espaces partagés alternatifs pour la collaboration croisée afin de célébrer la valeur de la création pratique. En tant que plateforme, COEX accueille de nombreuses organisations artistiques, des librairies indépendantes, des cabinets d’architectes et des initiatives dans le domaine de la restauration. La plateforme accueille des événements tels que des concerts de musique, des festivals, des ateliers et des conférences.

Kapallorek (Perak)
Kapallorek est un espace artistique indépendant fondé en 2014. Il s’agit d’une organisation à but non lucratif qui sert de plateforme alternative pour les artistes émergents des nouveaux médias, les arts interdisciplinaires, les artistes expérimentaux, les artistes en résidence et les chercheurs en art. L’espace accueille des expositions, des ateliers, des performances artistiques, des dialogues et des sessions de partage au cours desquels les artistes peuvent partager leur pratique créative avec les communautés locales.

Ruang Tamu Ekosistem / Pangrok Sulap (Sabah)
Ruang Tamu Ekosistem est un espace artistique communautaire à Kota Kinabalu, partagé par des organisations culturelles, artistiques et sociales. L’espace accueille une variété d’événements, allant de rassemblements d’étudiants à des ateliers, des conférences et des résidences d’artistes. Le collectif a collaboré avec le British Council, des organisations de défense des droits de l’homme, des organisations culturelles, etc.
Pangrok Sulap est l’un des collectifs de Ruang Tamu Ekosistem. Il s’agit d’un collectif malaisien d’artistes, de musiciens et d’activistes sociaux dont la mission est d’autonomiser les communautés rurales et les personnes marginalisées par le biais de l’art. “Pangrok” est la prononciation locale de “punk rock”, et “Sulap” est une hutte ou un lieu de repos généralement utilisé par les agriculteurs de Sabah, à Bornéo.