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Sámi dieđut ja máhtut leat leahkimin

Joar Nango s'entretient avec Rafico Ruiz des cosmologies sames, de la pratique de l'architecture et de la générosité

ᐊᖏᕐᕋᒧᑦ / Ruovttu Guvlui / Vers chez soi a été conçu conjointement par Joar Nango, Taqralik Partridge, Jocelyn Piirainen et Rafico Ruiz, avec Ella den Elzen comme assistante curatoriale. Nous avons également publié entretiens avec Partridge et Piirainen. L’exposition est actuellement présentée dans nos Salles principales jusqu’au 12 février 2023.

RR
Que signifie ruovttu guvlui pour vous?
JN
Quand je pense à la partie same de mon être, par rapport, disons, à la partie de moi norvégienne, européenne, internationale, de l’artiste ou de l’architecte, je pense à chez-moi, au territoire, à la tradition et à la culture comme quelque chose de très présent. Ces régions où ma famille, la famille de mon père et mes grands-parents ont vécu toute leur vie – ces régions très rurales, où toutes les pierres, les îles et la géographie sont si immuables qu’on peut les voir sur des photos vieilles de cent ans et que des récits à leur sujet circulent encore – il y a dans cette géographie quelque chose qui m’habite.

La connexion entre le chez-soi et le territoire est quelque chose qui, pour moi, en tant que Sami, est très présent et traditionnel, quelque chose de très respecté et dont on parle. C’est quelque chose qui nous guide, quelque chose qui nous corrige si on commet des erreurs, quelque chose qui nous oblige en quelque sorte à respecter une certaine façon de penser, de parler et d’entrer en relation avec elle. Et il en fut ainsi pour toutes les générations avant moi. Crois-moi, cela peut aussi être frustrant et presque étouffant parfois – les traditions ont leurs avantages et leurs inconvénients –, mais ces systèmes de respect et de connaissances, de langues et de comportements envers la terre, pour moi, c’est précisément ce que véhicule le titre de l’exposition ruovttu guvlui, vers chez-soi. La terre véhicule une ligne de temps qui va bien au-delà de l’échelle de tout être humain; elle possède une énergie maternelle et une langue qui lui est propre. La culture du pays consiste à faire preuve d’humilité à l’égard de cette énergie.
RR
En anglais, dans ma propre interprétation de « vers chez-soi », il y a quelque chose de linéaire dans le mot « vers », comme s’il s’agissait de se diriger vers l’avenir. Mais en ce qui vous concerne, je m’interroge : Est-ce que ruovttu guvlui contient cette même dimension future, ou s’agit-il d’une autre expérience du temps?
JN
Je suis toujours un peu embarrassé quand j’entends parler d’un type de pensée holistique par opposition à un type de pensée linéaire. Cela ressemble à un modèle dichotomique; c’est très polarisant. Je crois que, au sein de cultures différentes et de façons très diverses, nous appartenons tous à la même cosmologie, même si nous venons d’horizons différents.

Cela dit, je suis aussi très sensible à l’idée que nous avons différentes façons d’évaluer la position de l’homme dans le monde. Beaucoup de ces cosmologies traditionnelles sames sont très ancrées dans l’artisanat, dans l’élevage du renne ou même dans la langue. Ce sont les bastions culturels qui sont les nôtres. Lorsqu’on les compare à ce que réclame le système capitaliste mondialisé, toujours centré sur l’accumulation, la croissance et la consommation permanente, certaines valeurs entrent clairement en conflit.

Je m’efforce d’universaliser ces cosmologies sames, de sorte que lorsque nous en parlons et que nous travaillons avec elles visuellement ou spatialement comme je le fais, nous puissions inclure des éléments qui dépassent les frontières ethniques. Des éléments auxquels les jeunes qui grandissent dans une ville peuvent s’adapter, s’en inspirer et en y prendre part, n’est-ce pas? C’est important pour moi. Il y a certaines pratiques que chaque être humain pourrait intégrer davantage dans son style de vie et dans sa façon de voir le monde. L’écoute, par exemple, est l’une d’entre elles – remettant en question ce besoin constant de toujours avoir le contrôle sur les processus, l’économie et les flux de ressources.

Il y a tant à gagner à échanger sur les différentes cosmologies. On trouve tant de traditions précieuses dans les cultures autochtones qui illustrent parfaitement comment penser différemment, comment trouver d’anciens systèmes de connaissance – encore très pertinents aujourd’hui – sur les traitements matériels ou sur la culture des terres ou des aliments.

Vue d’installation de Sámi Architectural Library de Joar Nango, 2022. Photographie de Mathieu Gagnon © CCA

RR
Pourquoi pensez-vous que les artistes inuits et sames contemporains ont une influence aussi profonde sur la création d’espaces et sur le monde du design en général?
JN
C’est très lié à ce dont nous venons de parler en réalité. Je m’intéresse beaucoup à la notion de tradition et à la question de savoir ce qui définit réellement une tradition et comment la maintenir en vie. Il y a beaucoup de coutumes et de traditions anciennes qui peuvent être, ou semblent être, du moins, très conservatrices, n’est-ce pas? On doit faire cela de cette façon parce que c’est comme cela qu’on a toujours fait. Lorsqu’on essaie de demander pourquoi, on ne trouve pas toujours de réponse.

Quand on a l’esprit curieux et qu’on est dans un système éducatif occidental, on est très souvent mis au défi, poussé et encouragé à remettre en question ces schémas de pensée, ce qui peut représenter selon moi un vrai défi pour beaucoup d’Autochtones. On ne peut pas rejeter trop de choses, parce les rejeter nous pousse aussi à sortir de notre communauté. Cette dualité de traditions habite tous les aspects de la vie communautaire autochtone, ainsi que l’architecture autochtone. Ainsi, l’architecture traditionnelle est présente dans l’histoire de l’architecture norvégienne, mais elle est traitée différemment et on en parle différemment – le modernisme occupe une place importante dans l’architecture norvégienne. Le clivage entre le traditionnel et le moderne se vit différemment dans la culture autochtone. Nous avons une approche conservatrice : par exemple les Norvégiens penseront, devant un vieux goahti same que c’est quelque chose d’ancien, que c’est un musée, mais beaucoup de Samis, vont juste dire « Ah, c’est same ». Bien sûr, c’est un bâtiment historique et traditionnel, mais nous n’y pensons pas comme à quelque chose de mort et appartenant à une phase de vie qui a totalement disparu.
RR
Ce qui m’amène à ma prochaine question, et n’hésitez pas à vous la réapproprier, sur la façon dont vous définissez ou comprenez la pratique de l’architecture. Comment percevez-vous votre rôle? Le voyez-vous dans le contexte du territoire same? Est-il plutôt à l’échelle nationale ou internationale? Où situez-vous son fondement, s’il y en a un, du moins?
JN
Je n’essaie pas tellement de la définir. Il y aura toujours de la place pour de nombreuses façons d’interagir au sein de la discipline, et c’est la beauté de la chose, non? Il est possible de comprendre l’architecture de manière subjective et personnelle, et de créer des récits personnels dans ce domaine, et c’est formidable.

En grandissant en tant que Sami avec ce type de questions, on est toujours confronté à cette notion des structures de pouvoir et des hiérarchies et à la question de savoir qui décide de quoi en architecture. Dès le plus jeune âge, on subit un endoctrinement qui pousse à remettre en question le système. Il faut critiquer le pouvoir quand on naît avec une identité autochtone. On voit tant d’injustices se produire, n’est-ce pas? La façon dont mon père a été traité dès son plus jeune âge, les structures raciales de l’État. On devient très critique, et lorsqu’on devient architecte, on garde cela en soi. À un certain moment durant mes études, j’ai mis le mot sami devant le mot architecture, et tout ce que je fais désormais découle en quelque sorte de ce moment-là.

De toute évidence, ma puissance individuelle ne suffira pas à créer des bâtiments parlementaires institutionnels. Je dois donc utiliser les formats à ma disposition; j’ai beaucoup travaillé avec des formats artistiques visuels, comme des structures plus petites, temporaires et éphémères, ou conçues sur papier. Je pense, j’écris et j’imagine de nouveaux types de réalités architecturales. Dans tous ces processus, je me heurte toujours aux limites de nos droits à l’autodétermination. On est toujours confronté à cela, mais c’est intéressant de continuer à travailler dans de nombreuses versions différentes, et notre exposition, pour moi, est l’un de ces projets auxquels il est vraiment passionnant de participer. Travailler collectivement avec le même type de questions, mais dans un format autochtone – trans-autochtone – international, dans une rencontre entre les Samis et les Inuits, avec nos personnalités culturelles, nos projets et nos ambitions.

Je pense que ce qui m’intéresse, c’est peut-être plus la création de lieux que l’architecture, plus que la conception de structures. Mais ce que ces choses ont en commun, c’est que, pour moi, ce sont toutes des tentatives de créer des espaces sûrs, autonomes, sames, autochtones, ancrés dans la réalité – ce qui ne veut pas dire qu’il ne devrait pas y avoir de voix non sames, occidentales ou de colons dans la discussion, mais que la conversation devrait être un espace où nous nous retirons des structures de pouvoir qui étranglent et contrôlent que les États-nations capitalistes créent lorsqu’ils travaillent avec l’architecture.

Vue d’installation de Sámi Architectural Library de Joar Nango, 2022. Photographie de Mathieu Gagnon © CCA

RR
Selon vous, qui peut ou devrait détenir des connaissances sur le territoire, en particulier lorsque l’on considère la façon dont la pratique de l’architecture pourrait « écouter » le territoire de manière plus poussée?
JN
Dans un sens, cette question est complexe. Je sais très bien où je me situe lorsque je parle de questions autochtones ou que je m’implique dans des conversations politiques autochtones – des conversations sur la décolonisation, par exemple – parce que, d’une certaine manière, je suis quelqu’un de très apolitique, dans ma personnalité : j’ai tendance à épouser rapidement la complexité des questions, ce qui fait que je ne suis pas vraiment capable d’avoir une opinion bien arrêtée sur les choses, ce qui fait de moi un politicien vraiment mauvais, n’est-ce pas? Avant même d’avoir la capacité de dire quelque chose, je doute déjà de moi-même et de mes pensées.

Donc ma réponse à une telle question devrait respecter sa dimension complexe. Qui a le droit de travailler en usant de pratiques fondées sur le territoire? À de nombreux égards, je pense que chaque personne jouit dès la naissance d’une connexion au territoire, à l’environnement et à un lieu de manière égale. Pourtant, on ne peut pas se contenter de dire cela en laissant la conversation en suspens, car la façon dont l’histoire s’est déroulée est très complexe. À un niveau politique, lorsque je parle de décolonisation et de questions autochtones, j’ai très souvent peur d’offenser, par exemple, les colons, ou mes amis, mon épouse et toutes ces personnes dans ma vie qui ont des perspectives culturelles différentes des miennes.

En même temps, j’estime qu’il est absolument nécessaire de valoriser les points de vue des Samis, car tous ces systèmes de connaissances traditionnels fondés sur la terre existent encore. Ils sont en train de disparaître, et si nous continuons à construire ces projets d’économie verte, en aménageant notre paysage, nous épuiserons la terre et l’espace dont nous avons besoin pour permettre à notre culture et nos technologies terrestres d’exister. Il faut aussi que nous créions une résistance.
RR
J’ai pu observer que l’une des facettes essentielles de l’exposition est la générosité et l’empathie très fortes de tous les participants. Votre installation dans l’exposition se situe dans une salle que nous avons étiquetée avec la question « Où commence le territoire? ». Dans son orientation générale, l’exposition intègre une question qui témoigne de son sens de la générosité : elle invite de nombreuses communautés différentes à comprendre comment on définit le chez-soi par rapport au territoire, comment chaque personne, d’une certaine manière, est amenée à vivre ce type de relation.
JN
La générosité est nécessaire, mais les espaces sûrs le sont aussi – pas nécessairement exclusifs, mais sans danger, bien que l’exclusion puisse être une dimension naturelle du processus de création d’espaces sans risque. La générosité et son contraire, l’exclusion, sont deux dimensions qui suivront toujours cette conversation; il est très important de jongler entre ces deux attitudes pour tenir une conversation. J’espère qu’à l’avenir, nous nous retrouverons dans un endroit où nous pourrons être moins exclusifs, où nous pourrons être beaucoup plus transculturels dans la façon dont nous accueillons les types d’explorations et de conversations que cette exposition implique. J’espère que nous pourrons trouver une plateforme commune, en réalisant des projets comme cette exposition, où nous pourrons tous partager les mêmes connaissances. Je pense que c’est là que tout commence : la connaissance.

Nous devons soulever cette question plus qu’une fois tous les dix ans dans une institution telle que le CCA. Il faut que des lieux comme le CCA soient toujours porteurs de ce type de connaissances, et je pense qu’ils doivent les maintenir présentes, et s’assurer que nous avons tous un niveau de connaissance de base sur ces questions. Une fois que nous avons cela, nous pouvons initier un format complètement nouveau pour nos discussions. Nous pouvons aller beaucoup plus loin, plus profondément et collaborativement dans le futur si nous partageons une base de savoir commune.

Et ce savoir doit non seulement être partagé, mais aussi produit, et coproduit. La structure de la bibliothèque architecturale same, la façon dont elle s’est développée depuis que j’ai réalisé la première version à Ottawa, au Musée des beaux-arts, est devenue, selon moi, une tentative de créer ce type de plateforme pour générer des connaissances. C’est un espace qui permet de générer, de coproduire et de créer un type de connaissances ouvertes et accessibles sur l’architecture autochtone, qui est particulièrement nécessaire à mon avis. Ce type de générosité – dans la connaissance et dans sa production – est aussi fondamental.
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