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Jocelyn Piirainen s'entretient avec Rafico Ruiz du futurisme inuit, des institutions et du fait d'être une Inuk urbaine

ᐊᖏᕐᕋᒧᑦ / Ruovttu Guvlui / Vers chez soi a été conçu conjointement par Joar Nango, Taqralik Partridge, Jocelyn Piirainen et Rafico Ruiz, avec Ella den Elzen comme assistante curatoriale. Nous avons également publié entretiens avec Nango et Partridge. L’exposition est actuellement présentée dans nos Salles principales jusqu’au 12 février 2023.

RR
Que signifie angirramut (ᐊᖏᕐᕋᒧᑦ ) pour vous? S’agit-il d’être ancré chez soi, ou bien d’un mouvement ou d’une progression vers l’avenir?
JP
Je suis encore très occupée à apprendre et à réapprendre l’Inuktitut – et même mon propre dialecte, l’Inuinnaqtun – mais le mot angirramut a une signification très complexe, je pense. C’est une très belle traduction. D’une certaine manière, cela signifie aller quelque part. Aller de l’avant, en tout cas – ou vraiment, en direction de, vous allez vers quelque chose, vers l’avenir.
RR
En plus d’avoir écrit sur le futurisme inuit dans Canadian Art, vous êtes également conservatrice à Qaumajuq, le centre d’art inuit du Musée des beaux-arts de Winnipeg, et vous êtes très impliquée dans le soutien et la promotion de l’art inuit. Je me demande – sachant qu’il est difficile de généraliser – de quelle manière les différents membres de la communauté inuite s’investissent dans Qaumajuq. Est-ce un centre pour l’’art? Ou pour la culture inuite? Le terme art est-il un adéquat ou voyez-vous d’autres termes qui conviendraient davantage?
JP
C’est une très bonne question. C’est intéressant : en inuktitut, il n’y a pas de traduction spécifique pour le mot art. Il y a quelques mots différents avec des significations différentes. L’un des plus importants renvoie à l’idée de fabriquer quelque chose, ce qui, en fait, désigne ce qu’est l’art : quelqu’un fabrique quelque chose. C’est la même chose avec le mot architecture : il évoque quelqu’un qui crée des structures. L’exposition montre quelques-unes de ces intersections intéressantes entre l’art et l’architecture. Des artistes et des créateurs travaillant avec divers médias nous présentent différentes perspectives sur l’avenir de la construction dans le Nord et de l’architecture autochtone.

Shuvinai Ashoona, Family in Tent, 2003. Stylo feutre sur papier, 27,5 x 33,5 po. Collection de la Winnipeg Art Gallery, acquise grâce aux fonds de la Winnipeg Rh Foundation Inc, 2004-71 © Shuvinai Ashoona

RR
Si l’on aborde la question sous un angle très différent – dans une perspective plus historique peut-être, en pensant à l’histoire du peuplement colonialiste dans ce qui est aujourd’hui le Nunavut, et à l’introduction de l’art comme une sorte de technique de contrôle par les colons, d’une certaine manière –, je me demande pourquoi, d’après vous, les artistes inuits et sames contemporains ont une influence aussi profonde sur la création d’espaces dans le monde du design en général.
JP
Pour revenir à la dernière question sur Qaumajuq et son importance pour les Inuits, j’ai l’impression que la conception de ce genre d’institution artistique d’envergure doit prendre en considération l’avis de la communauté, mais aussi l’idée de faire de ces nouveaux bâtiments des espaces sûrs pour la communauté. La prochaine génération d’architectes autochtones se pose ces questions. Ce que l’on crée est-il vraiment un espace sûr? Est-ce un endroit que les Inuits et les autres Autochtones peuvent considérer comme leur foyer? Peuvent-ils s’y sentir chez eux?

Avec Qaumajuq, les Inuits jouissent désormais d’un espace confortable, dans un bâtiment dont le mur et la voûte en verre ouvrent la collection d’art inuit non seulement à la communauté inuite, mais à tout le monde. C’est très accueillant. On a envie d’entrer et de voir ce qu’il y a là. Les artistes peuvent aussi amener des perspectives différentes. Peut-être un peu plus de créativité que les architectes [rires]. Mais encore une fois, c’est la diversité de ces perspectives, issues de nombreuses personnes différentes, qui est bénéfique pour l’avenir de la construction dans le Nord.

Il faut vraiment discuter avec la communauté de ce dont elle a besoin et de la façon dont on doit s’y prendre. Si on construit un tout nouvel hôpital ou un nouveau poste de soins infirmiers dans le Nord, il faut évidemment parler aux professionnels de la santé sur place et comprendre ce qu’ils voudraient, mais il faudrait aussi parler à beaucoup d’aînés. Les aînés jouent un rôle très important dans la culture autochtone et, dans la culture inuite, ils sont porteurs de tant de connaissances. Les aînés d’aujourd’hui ont vécu de nombreux changements. Ils sont incroyablement ingénieux, pour avoir su s’adapter à tant de changements. Leur savoir est inestimable.
RR
J’ai lu – et vous êtes, bien entendu, bien plus au courant – à propos du manque de places pour les soins de longue durée pour les aînés, surtout au Nunavut je pense; tant d’aînés doivent quitter le Nunavut et aller à Ottawa pour des soins de longue durée. Cela montre parfaitement que si l’on investissait dans une définition de l’architecture dirigée par les Inuits, cela pourrait aider à régler cette situation. Pour les gens du Sud, cela signifie toujours construire un hôpital, n’est-ce pas? Mais en fait, ce n’est pas tant la structure physique qui importe que de trouver des moyens différents de soutenir la communauté.
JP
L’idée des soins de longue durée pour les personnes âgées provient du Sud; historiquement, notre avons coutume de prendre soin de nos aînés bien sûr – je veux dire, nous le faisons toujours, mais d’une manière différente que les gens du Sud ne comprennent pas vraiment, je crois. Pourtant, ce n’est qu’en parlant à la communauté que l’on voit ce dont elle a besoin.
RR
Je voulais aussi vous demander pour quelles raisons vous avez choisi la série de dessins qui apparaît dans l’espace du porche de l’exposition. Vous êtes vraiment la voix forte du commissariat, alors je me demande ce qui a orienté votre sélection.
JP
Lorsque j’ai commencé à parcourir notre collection, j’ai été surprise de constater que nous n’avions pas beaucoup d’œuvres liées à l’architecture ni même aux structures. Je sais que les œuvres d’art existent : elles sont là. Des artistes inuits contemporains ont réalisé des dessins précis de bâtiments nordiques typiques, et ils sont vraiment magnifiques. Il y a une œuvre d’Itee Pootoogook qui représente un bâtiment abandonné et en ruine, et la façon dont elle l’a dessiné est très frappante visuellement. Dans la collection, il y avait beaucoup d’œuvres qui se rapportaient davantage aux activités familiales à l’intérieur de la maison, alors j’en ai inclus quelques-unes – notamment une belle pièce de Shuvinai Ashoona représentant une mère et ses enfants à l’intérieur d’une tente. Ces œuvres ont quelque chose qui nous transporte dans ces espaces, quelque chose qui nous met à l’aise. On peut s’y identifier, et c’est ce que j’aime vraiment dans ces dessins.

Mais aussi les détails qu’ils contiennent. Les détails que Shuvinai inclue dans son travail sont visuellement assez fascinants, et ce sont des détails cruciaux pour les maisons du Nord. Ils figurent des éléments que l’on trouve vraiment chez tout le monde, dans le Nord. Ses dessins disent au public, en fait : voici ce qu’est le qaumajuq, voici ce que nous connaissons, voici ce qu’est la maison pour nous.

Padloo Samayualie, Untitled (Scene from Cape Dorset from a porch with an animal carrier on landing), 2015. Crayon de couleur, graphite sur papier, 58,4 x 76,2 cm. Collection de la Winnipeg Art Gallery, don de Marnie Schreiber, 2019-89 © Padloo Samayualie. Photo : Serge Gumenyuk, avec l’aimable autorisation de la Winnipeg Art Gallery.

RR
Pourquoi avez-vous choisi de les encadrer en mélangeant les styles de cadres et de matériaux?
JP
Nous avons trouvé cette idée amusante. Dans beaucoup d’expositions en galerie, chaque pièce a le même cadre, mais ici, nous voulions donner l’impression d’être dans la maison de quelqu’un, où l’on trouve des cadres dépareillés et où certaines choses sont encadrées et d’autres non. Dans le Nord, les gens ne font pas d’encadrements. On ne peut pas vraiment aller chez un encadreur sur mesure là-bas [rires], alors bien sûr, on trouve des cadres plus anciens, des objets provenant de friperies ou qui ont peut-être été apportés par un autre membre de la famille.
RR
Je n’y avais pas vraiment pensé de cette façon, mais dans l’espace du porche présenté à l’exposition, on part du principe que l’on entre dans une maison du Nord. Cependant, étant donné les différents points de vue et expériences de la maison à travers ces différentes œuvres d’art dont nous parlons, est-ce le même type d’espace qu’on retrouve dans le Sud, ou ailleurs? Cet espace cherche-t-il à établir des liens avec le Nord, d’une certaine façon? Ou plus généralement, comment voyez-vous les expériences des Inuits urbains représentées dans l’exposition?
JP
J’ai assisté à une conversation avec [la conceptrice de l’exposition] Tiffany Shaw, dans laquelle elle a décrit l’espace de Geronimo [Inutiq] dans la galerie en expliquant que le sentiment qu’il crée dans cet espace ne correspond pas celui des maisons dans le Nord.

L’espace lui-même n’évoque pas l’aspect actuel du territoire et de l’architecture dans le Nord; Geronimo convoque plutôt sa propre mémoire de ces lieux et espaces. J’ai pensé que c’était vraiment important pour cette exposition dans son ensemble. Les co-commissaires et les artistes eux-mêmes – à l’exception de Laakkuluk [Williamson Bathory], Joar [Nango] et peut-être Carola [Grahn] – qui ne vivent pas et ne travaillent pas dans le Nord. Nous sommes, Taqralik [Partridge] et moi du moins, une équipe de conservatrices inuites en milieu urbain. Nous concevons cette exposition en nous fondant sur la mémoire de ces lieux, sur le souvenir de notre retour dans le Nord, sur nos propres sentiments de ce qu’est cet endroit et sur les sentiments que nous inspirent ces souvenirs.
RR
Je trouve intéressante la manière dont votre expérience en tant qu’Inuk urbaine complexifie la notion de « chez soi » dans le titre de l’exposition. Où avez-vous grandi? Ce n’était pas à Winnipeg, mais était-ce en ville?
JP
Oui, c’était surtout à Sudbury, en Ontario. Cependant, je retournais souvent à Cambridge Bay-Iqaluktuuttiaq-au Nunavut quand j’étais beaucoup plus jeune. J’avais 10 ans lorsque ma famille s’est finalement installée à Sudbury.
RR
Pour moi, cela rajoute une belle dimension à la définition du projet. Dès le départ, tous les co-commissaires ont clairement indiqué que le ou les premiers publics de l’exposition seraient les communautés inuites et sames de partout, dans le Nord comme dans le Sud. Pensez-vous que l’exposition parle aux gens du Nord d’une manière différente? Comment résonne-t-elle à votre avis?
JP
J’espère vraiment qu’elle donnera aux plus jeunes générations l’envie de s’intéresser à l’architecture et au design, et qu’elles réaliseront peut-être qu’il est possible de travailler dans ces domaines d’une manière ou d’une autre dans le Nord. C’est vraiment possible. Il commence seulement à y avoir un certain nombre d’étudiants inuits qui étudient en architecture; pendant un certain temps, ce n’était tout simplement pas dans le domaine du possible pour les Inuits. Mais à présent, avec l’apprentissage en ligne, c’est plus facile. C’est probablement encore un peu plus difficile qu’ailleurs, mais c’est possible.

Shuvinai Ashoona, Untitled (Camp Scene), 1997. Stylo à pointe feutre sur papier, 16 x 19 po. Collection de la Winnipeg Art Gallery, don de Marnie Schreiber, 2019-115 © Shuvinai Ashoona. Photo : Serge Gumenyuk, avec l’aimable autorisation de la Winnipeg Art Gallery.

RR
Ma dernière question est la deuxième question que l’on rencontre en parcourant l’exposition : où pensez-vous que nous allons à partir de maintenant? Quel genre de travail aimeriez-vous voir les designers inuits et sames faire dans les cinq ou dix prochaines années?
JP
Il est très important de créer des espaces sûrs qui permettent à la communauté et aux Inuits de se réunir, non seulement dans le Nord mais aussi dans les villes. À Winnipeg, je fais partie du conseil d’administration du Centre inuit urbain, Tungasugit, et nous nous sommes posé le même genre de questions que ce projet. Comment créer un espace pour les Inuits qui soit sûr et qui fournisse les ressources et les services dont la communauté a tant besoin? Comment pouvons-nous les soutenir? C’est un problème persistant, vraiment.

Le logement dans le Nord a aussi été un enjeu très important pour le gouvernement du Nunavut et des autres régions du Nord. C’est une question tellement importante à aborder, et il est clair que les solutions ne vont pas apparaître du jour au lendemain – elles ne vont pas prendre seulement un mois ou deux. Elles prendront du temps et, espérons-le, de plus en plus d’étudiants inuits voudront apporter ces changements et influencer la direction que prendra le logement dans le Nord. Si ces sujets sont abordés maintenant, c’est certainement un bon signe; voyons où nous pouvons aller avec ça et comment nous pouvons nous améliorer.
RR
J’ai fait remarquer à Joar qu’il y a de la générosité et de l’empathie dans l’exposition et dans l’ouverture de ce processus aux visiteurs colons. Et il m’a répondu qu’il était très important de créer des espaces sûrs, mais qu’il y avait aussi une sorte d’exclusion au cœur de tout cela, du moins pour l’instant, disons. Le spectacle a quelque chose d’ouvert, d’empathique et de généreux, mais il faut aussi qu’il s’adresse avant tout à un public d’Inuits, de Samis et d’autres peuples autochtones du Nord.
JP
Nous vivons à une époque où de nombreux peuples autochtones prennent vraiment les choses en main, non seulement au Canada mais aussi ailleurs. Nous allons de l’avant avec cette idée que notre communauté passe avant tout, que nous sommes autonomes – non pas pour exclure délibérément les autres, mais pour dire, finalement, « Eh bien, ce n’est pas vraiment pour vous ». Le contexte est en train de changer – et pas seulement dans les expositions et dans l’art, mais aussi dans la politique. Il y a encore des gens qui sont un peu agacés par cette attitude, par ce sentiment d’autonomie, mais finalement, j’ai le sentiment que le public est vraiment très respectueux de cette attitude. J’ai vu à plusieurs reprises qu’un colon en position de pouvoir prenait du recul et donnait la parole aux autochtones. J’ai conscience de ce respect pour notre autodétermination.
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