La mode en première ligne

Justin Louis s'entretient avec Irene Chin sur la façon dont la mode raconte des histoires autochtones et occupe l'espace

IC
Le mélange des genres entre marchandises et militantisme peut s’avérer un terrain miné. Comment vous situez-vous entre commerce et culture?
JL
La culture est un élément fondamental de ce que nous sommes: notre mission est de représenter la culture autochtone de façon authentique. Nous voulons que notre population puisse avoir des produits auxquels elle s’identifie et qu’elle puisse porter parce que ces produits incarnent sa réalité. C’est un aspect essentiel de qui nous sommes et de ce que nous faisons en tant que marque, mais il y a de multiples défis qui surgissent quand une marchandise se retrouve dans un contexte de mouvement militant. Il y a des gens qui gagnent de l’argent en exploitant les tendances. Nous avons participé à de nombreuses campagnes de financement, mais quand il s’agit d’un certain type de cause, nous donnons toujours l’intégralité des fonds. Je ne crois pas qu’il faille tirer profit de mouvements qui s’attaquent à l’oppression.
IC
De quelle manière vous servez-vous des images et les logos (Coca-Cola, etc.) en tant que technique de communication particulière? Comment détournez-vous leur signification?
JL
En matière de mode urbaine, les gens aiment bien s’amuser avec les logos, et nous aussi. Il y avait bien sûr une certaine ironie dans le tee-shirt « Fuck Colonialism »—un message que nous partageons et soutenons. On nous a tellement pris que nous nous disons: pourquoi ne pas prendre les logos des autres et les détourner pour porter un message qui est important pour nos peuples, auquel ils s’identifient? Ce n’est pas un travail de conception des plus techniques, mais cela marque les esprits et les gens y adhèrent. Il y a aussi généralement un trait d’humour—les Autochtones adorent rire. Il y a toujours un peu de sarcasme et d’humour dans ces symboles.

Pour l’autre que nous avons créé, le chandail « Kill Mascots », nous avons collaboré avec un artiste de Chicago appelé SANTIAGO, qui a trouvé le concept. Il y avait à cette période un important mouvement autour de la question des mascottes, des mascottes autochtones et de la déshumanisation des populations autochtones. Donc, nous avons imaginé une grande collection inspirée des Blackhawks de Chicago; nous avons pris le logo et avons joué avec. Le message a trouvé écho dans nos communautés, et c’est l’une de nos lignes les plus populaires à ce jour. Là d’où je viens, le hockey sur glace représente beaucoup; tout le monde a reconnu les couleurs des Blackhawks—et l’a immédiatement aimé. Mais l’aspect le plus important était le message. Nous avons reçu une lettre d’interdiction de la Ligue nationale de hockey pour l’un de nos anciens logos « Fuck Colonialism ». En nous développant comme marque, nous sommes devenus beaucoup plus attentifs aux images que nous utilisons; il faut tenir compte des lois sur le droit d’auteur…

Création de mode par Justin Jacob Louis de Section 35, 2016. Photographie © Justin Jacob Louis.

IC
Pouvez-vous nous parler de votre exposition au Met? Ou d’autres exemples?
JL
La pièce principale est un blouson letterman en cuir que nous avons réalisé. Sa conception a fait l’objet d’une grande réflexion et elle est très subtile–tout est dans la tonalité – avec des caractères syllabiques cris sur la manche qu’on pourrait traduire par «la bonne vie»–miyo-pimâtisiwin. Et il y a un cheval, qui est une représentation de ma famille et de ma culture. Dans mon milieu d’origine, les chevaux ont une grande importance. La langue joue également un rôle essentiel, et c’est quelque chose que nous nous efforçons de préserver et de continuer à raviver.

Il s’agit sans doute de l’une de mes créations préférées, et quand le Met s’y est intéressé et m’a contacté…j’étais aux anges. C’est une pièce qui veut dire beaucoup pour moi, en tant que Cri. Les valeurs que je porte en moi s’y incarnent, et c’est vraiment bien de voir ce vêtement au Met, juste à côté du travail de Jerry Lorenzo.
IC
On voit Balenciaga mettre en scène un défilé à la bourse de New York, peut-être pour critiquer le capitalisme dans une certaine mesure ou encore un défilé Vetements dans un McDonald’s–la mode est indissociable de la consommation corporative. Comment le commerce de détail lutte-t-il contre des institutions telles que la Bourse ou le musée?
JL
Le commerce de détail peut devenir une ressource pour combattre certaines de ces structures capitalistes. Le commerce de détail est devenu un outil permettant de collecter des ressources et de les diriger vers les personnes qui en ont besoin, comme celles qui luttent pour leurs terres et leur eau contre les grandes multinationales qui traversent leur territoire.
IC
Section 35 était membre d’un collectif de mode autochtone et, en 2019, vous avez collaboré avec The Hundreds à une collection capsule qui visait à attirer l’attention sur les contestations entourant le pipeline et à amasser des fonds pour cette cause. Les designs graphiques et tactiles étaient très puissants, mais pouvez-vous nous parler plus précisément du lieu choisi pour ce défilé de mode?

Semaine de la mode Otahpiaaki, publication Instagram du 11 février 2019. Création de mode par Justin Jacob Louis de Section 35. Photographie © Lisa Amos / Caydence Photography.

JL
Le contexte remonte à l’année précédente, lorsque la ville de Los Angeles a voté l’abolition du Jour de Christophe Colomb (Columbus Day), en le remplaçant par la Journée des peuples autochtones. Il a alors été décidé d’organiser une célébration à l’hôtel de ville pour fêter la journée des peuples autochtones et le quartier a été fermé pour cette célébration des artistes et des cultures autochtones. Ils ont fait de leur mieux pour honorer les peuples autochtones de Los Angeles. Une scène était même prévue pour que les artistes puissent se produire.

Et par ce biais, nous avons eu la chance d’être invités à venir occuper un espace lors de cet événement. C’était vraiment une fête où les gens se rassemblaient pour reconquérir l’espace. À L.A., les peuples originaires de cette terre sont presque oubliés. Donc, pour un groupe de créateurs autochtones, venir y présenter un défilé de mode était vraiment cool, et avait aussi beaucoup de sens. Le thème de cette collaboration a été inspiré par certains artistes et le collectif qui sont des personnes de première ligne qui luttent depuis longtemps contre les multinationales. Une bonne partie de l’iconographie était profondément inspirée de ce travail de première ligne. On y retrouve des gilets pare-balles, des masques à gaz…J’ai pensé qu’il était audacieux pour nous de présenter ce genre de choses devant la mairie de Los Angeles. Cela a permis de partager les réalités de nos communautés et les problèmes auxquels notre population est confrontée.
IC
Le fait qu’il s’agisse d’une manifestation sous couvert d’un défilé de mode est un exemple spectaculaire de réappropriation de l’espace. Dans notre projet Vente finale, il est important de comprendre comment le commerce de détail peut conserver sa nature spatiale, étant donné qu’une bonne part de sa raison d’être est liée à l’interaction publique et à l’observation de la consommation des autres. Avec la mondialisation et l’embourgeoisement, les nuances qu’apporte la vie piétonne sont gommées par toutes ces marques internationales que l’on trouve partout, et l’aspect public de la devanture de boutique en tant que pas de porte et canal de communication s’estompe avec le commerce électronique; nous nous retrouvons de plus en plus isolés à la maison, à faire nos achats en ligne. À l’époque postmoderne, les architectes se servaient des façades des bâtiments pour jouer sur l’ampleur de la communication commerciale. Puis il y a le panneau publicitaire, qui répond aux besoins d’une culture centrée sur la voiture, où tout passe par ce que vous voyez depuis la vitre de votre véhicule. Ce qui me ramène à The Hundreds et à cette affiche de la collaboration lors de la Journée des peuples autochtones. Les panneaux sont omniprésents dans notre paysage. Ils reflètent la culture automobile et la culture de consommation. Comment vous en servez-vous pour définir les espaces à reconquérir?
JL
Le commerce de détail a beaucoup évolué depuis mon enfance. Depuis l’époque où j’étais à l’université, j’ai toujours travaillé dans ce domaine. On entend toujours dire que le commerce de détail se meurt, que de moins en moins de marques peuvent s’offrir un emplacement physique. Une bonne partie du secteur d’activité est contrôlée par les grandes chaînes ou par des enseignes de luxe capables d’avoir un magasin phare. La vente au détail est plus difficile pour les marques plus modestes, pour avoir une présence dans d’autres secteurs, à part peut-être quelques opportunités de vente en gros. Cependant, je pense que certains des espaces les plus intéressant sont de petits commerces indépendants.

Mais beaucoup de personnes consacrent davantage de ressources au commerce électronique, les profits des ventes en ligne surpassant clairement ceux du détail. Cependant, trouver un équilibre entre les deux est indispensable pour survivre. Je n’ai aucune idée de la situation où se trouvera la vente au détail dans dix ans. Peu de marques ou entreprises ont les moyens d’investir, de développer ce type d’espace. On voit certainement plus de gros blocs génériques que d’espaces créatifs.

Création de mode par Justin Jacob Louis de Section 35. Photographie © Blaire Russell.

IC
Pourriez-vous nous en dire plus sur la façon dont l’espace numérique vous permet de raconter vos histoires par rapport à ce que vous auriez imaginé faire si vous disposiez d’une vitrine traditionnelle?
JL
Nous sommes tellement interconnectés sur le plan numérique. Les médias sociaux, toutes les différentes plateformes – vous pouvez toucher beaucoup de gens grâce au volet numérique de votre activité. Un espace de vente au détail dans un petit coin de la ville ne vous amène pas très loin. C’est fou de constater l’impact des médias sociaux sur le commerce de détail. Vous ouvrez une application, et la majorité du contenu que vous voyez est centrée sur le produit.
IC
Dans l’exposition, nous avons une partie consacrée à la Compagnie de la Baie d’Hudson et la traite des fourrures au Canada. L’infrastructure de l’entreprise était orientée vers l’« efficacité » et ce que l’on considérait sans doute comme le progrès dans une perspective occidentale, coloniale. Mais quand on y regarde de plus près, c’est militariste, ce sont des forts. J’aimerais savoir ce que vous pensez du commerce de détail en tant que plateforme narrative pour aborder les histoires, les luttes actuelles et imaginer des avenirs différents. Comment penser la vente au détail à un autre niveau, en dehors du contexte capitaliste?
JL
Il est difficile de dissocier le commerce du capitalisme. Mais je crois que beaucoup peut être fait dans l’espace de la vente au détail lui-même sans que cela soit uniquement lié à sa dimension capitaliste… les ressources sont aussi un enjeu pour une boutique éphémère. Et nous, Autochtones, quand nous voulons prendre en charge l’espace, c’est pour créer quelque chose à notre image. Notre histoire est tellement riche et notre culture a tant à exprimer, malgré toutes les difficultés que nous avons dû affronter. Il y a donc un aspect éducatif qu’il faut promouvoir, des messages sous-jacents à l’espace que nous occupons. Ce n’est pas juste le produit. Si on envisage l’avenir du commerce de détail sous cet angle, je crois qu’il y aurait là une démarche beaucoup plus constructive que de simplement tout centrer sur le produit.

Vente finale a été conçu par Fredi Fischli et Niels Olsen. Nous avons également publié des entretiens avec architectes Tadeáš Říha and Kateřina Frejlachová. L’exposition est actuellement présentée dans nos Vitrines et Salle octogonale jusqu’au 12 février 2023.

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