Mettre en doute...

Shivani Shedde

Ce texte introduit trois articles produits par les participants au séminaire Outils d’aujourd’hui 2021: Légalités pour vivre.

En décembre 2022, Melinda Gates, représentant la Fondation Bill and Melinda Gates, s’est rendue dans l’État de l’Uttar Pradesh (UP), au nord de l’Inde, pour y rencontrer le ministre en chef, Yogi Adityanath. Fait surprenant, Gates a félicité le gouvernement de l’UP pour sa « gestion efficace » de la crise de la COVID et a salué le modèle de développement prôné par Adityanath sur des problématiques universelles comme la nutrition et l’émancipation des femmes, saluant son exemplarité pour l’Inde, si ce n’est pour le reste du monde. Ceci n’a pas manqué de susciter la controverse chez les critiques du parti au pouvoir, notamment parce qu’Adityanath, l’une des figures politiques les plus connues du BJP (Bharatiya Janata Party), ne manque jamais une occasion de déployer une rhétorique des plus à droite, terreau d’une action politique conflictuelle et violente à l’encontre des basses castes, des non-hindous, des journalistes, étudiants, contestataires, travailleurs, agriculteurs, des malades, entre autres. État parmi les plus peuplés d’Inde, l’UP a des indices parmi les plus faibles de la région en matière d’électrification, d’alphabétisation, de sécurité et de santé des femmes – plutôt loin d’un modèle de développement digne d’éloges. Le gouvernement d’Adityanath s’est donné l’objectif de redorer son image, pour partie en faisant taire toute opposition à ses projets.

J’ai eu une merveilleuse rencontre aujourd’hui avec @melindagates, coprésidente & administratrice de la fondation Bill & Melinda Gates, à ma résidence officielle de Lucknow.

Nous avons eu une discussion productive sur l’amélioration de la coopération technique dans le domaine de la santé, de la nutrition, de la sécurité sociale & de l’agriculture dans l’UP.

Le musellement et la coercition exercés par le gouvernement de l’UP à l’encontre des dissidents, sous prétexte d’application de la « règle de droit » pour maintenir l’ordre civil, se sont étendus à la démolition ciblée de leurs maisons. Le mépris flagrant des règlements municipaux en vigueur pour protéger la propriété privée n’a nullement ému les instances dirigeantes du BJP, y compris le premier ministre, Narendra Modi; celui-ci continue à proclamer le « succès » d’un tel « modèle de développement » comme préparant le terrain à l’attraction d’investissements nationaux et étrangers. Dans l’UP, la loi et l’aménagement ont été instrumentalisés contre la population pour favoriser les donateurs privés dans la réalisation des projets de construction, un modèle de financement qui ressemble à ce que l’historien Achille Mbembe appelle le « gouvernement privé indirect », ou la fracturation de la loi au profit du pouvoir privé1. Un tel exemple invite à la réflexion sur la façon dont la violence étatique s’exerce sur les citoyens pour faire avancer des intérêts politiques.


  1. Achille Mbembe, De la postcolonie, Paris, Éd. Karthala, 2000. 

Des engins de chantier sont utilisés pour démolir la maison d’un musulman accusé par les autorités de l’État d’Uttar Pradesh d’être impliqué dans des émeutes, 12 juin 2022

Qui et que protège la loi? Comme l’ont fait valoir les participants à la résidence de recherche pour doctorants 2021 au CCA, le domaine du droit doit être l’objet d’une vigilance accrue, car la législation, outre sa faillibilité, peut avoir de profondes conséquences matérielles.

Dans le cadre du volet d’Outils d’aujourd’hui 2021 ayant pour thème Légalités pour vivre, les participants se sont réunis lors d’ateliers, de séminaires et d’événements publics pour retracer cette relation de plus en plus aigüe et critique entre l’architecture et le droit2. Les articles qui en résultent synthétisent nos réflexions et soulèvent des questions telles que : Qu’est-ce qui constitue ou non une preuve? Qui peut et ne peut pas fournir de preuve? Qu’est-ce qui constitue ou non un témoignage recevable3? De notre point de vue, la loi ne devrait pas être interprétée au sens strict, mais plutôt avec « précaution » pour permettre une réévaluation des normes et des préceptes relatives aux modes de pensée et de vie quotidiens.

Notre approche de la circonspection, ou du doute, ne vise pas à conduire un exercice triomphaliste de démystification, à causer la paranoïa ou le pessimisme, ou encore à déclencher une avalanche d’éventuelles machinations, mais à sonder les archives architecturales en quête de normes, occultations, répressions et autres reniements décrétés au nom de la loi4.

Le doute s’épanouit dans l’objet même qu’on lui oppose souvent : définir les façons possibles de réparer, si ce n’est des réparations en tant que telles. Le doute agrège l’insatisfaction et la défiance envers l’État et les institutions, les bureaucraties et les idéologies. Il remet en cause les grands récits et la dynamique abstraite, rigide et verticale des archives pour mettre en avant les histoires cachées de l’architecture. Il révèle les mécanismes qui façonnent et refaçonnent l’environnement bâti à travers ses interactions avec la politique, les gens et la nature. Il est un moteur essentiel des politiques radicales qui bousculent les standards, archives, méthodes de formation et représentations en matière d’architecture. Mettre en doute – pris sous cet angle – ne s’inscrit pas en opposition à la loi, aux professions ou aux archives de la connaissance, mais propose une démarche où la circonspection est un levier d’accès démocratique aux droits, d’action collective engagée au sein d’une entité politique et de rectification des normes et préjugés inhérents aux canons architecturaux.

Comme l’a affirmé l’historienne Esra Akcan, l’histoire de l’architecture peut ouvrir la voie à la question de savoir « ce qui se serait arrivé si les choses s’étaient passées autrement »5. En explorant l’idée et la méthodologie du doute, cet Outil considère les recoupements entre perspectives juridiques et historiques comme un nouveau champ des possibles dans la réévaluation de l’intrication persistante et systématique entre droit et architecture, légalité et illégalité, pouvoir et contrôle, et du fardeau de l’accès, de la démonstration et de la preuve.


  1. Achille Mbembe, De la postcolonie, Paris, Éd. Karthala, 2000. 

  2. Voir Stuart Hall et Doreen Massey sur l’« analyse conjoncturelle » dans « Interpreting the Crisis: Doreen Massey and Stuart Hall Discuss Ways of Understanding the Current Crisis », Soundings, no 44 (printemps 2010), p. 57–71. 

  3. Aggregate Architectural History Collective, Writing Architectural History: Evidence and Narrative in the Twenty-First Century, University of Pittsburgh Press, 2021. 

  4. Renisa Mawani, « Law’s Archive », The Annual Review of Law and Social Science, no 8 (2012), p. 341. 

  5. Esra Akcan, Open Architecture: Migration, Citizenship, and the Urban Renewal of Berlin-Kreuzberg by IBA 1984/1987, Bâle, Birkhäuser, 2018, p. 300. 

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