Puzzles résolus avec le coeur
Les clichés polaroids d’Aldo Rossi, présentés par Diogo Seixas Lopes
Aldo Rossi a commencé à prendre une série de clichés polaroïd à la fin des années 1970 pour documenter ses voyages et ses explorations. Ils sont devenus le journal visuel de cet architecte italien, tenu par celui-ci jusqu’à sa mort en 1997. Pour Rossi, ces instantanés résumaient « la photographie du temps qui fuit à jamais, l’amour d’un moment, la poursuite de la vie ».
La collection du CCA renferme plus d’une centaine de ces clichés polaroïd, pris un peu partout dans le monde. On y trouve des images de bateaux traversant une rivière à Bangkok, d’un village de Shakers au Massachusetts et de la tour penchée de Pise. La collection comprend aussi des photographies de bâtiments conçus par Aldo Rossi et de son bureau à Milan. Mais certaines images sont quelconques, par exemple celle d’une façade de villa toute couverte de feuillage. Décorée de frises d’inspiration classique, son mur en stuc et ses stores en bois aux fenêtres semblent rongés par le temps. Au dos de la photo, écrits au feutre, quelques mots donnent ce renseignement : « HOTEL ROSEMARY’S BABY AJACCIO (CYRNOS) 21 GIUGNO ».
Certes, l’image de la villa ne présente rien d’inhabituel, mais la légende est troublante. Rosemary’s Baby, c’est le titre du film d’horreur réalisé par Roman Polanski, en 1968. L’histoire macabre se déroule au Dakota, célèbre immeuble d’appartements à Manhattan où John Lennon allait être assassiné en 1980. Aldo Rossi affirmait que l’architecture n’est que le cadre du déploiement de la vie. De même, le cliché polaroïd de la villa est transformé par sa légende. La fiction l’emporte sur la réalité, et la vue extérieure ne revêt plus d’importance. L’intérieur, où tout peut survenir, devient le centre d’attention. En fait, dans ses souvenirs de jeunesse, Aldo Rossi a expliqué comment une histoire peut dominer un bâtiment en Une autobiographie scientifique :
Sans sortir des limites scientifiques de ce texte, je dois dire que la principale association entre l’image de l’hôtel et la couleur verte était représentée, comme par contraste, par une jeune fille du nom de Rosanna ou Rossana, et peut-être est-ce la raison pour laquelle un certain sens du verni et des couleurs contrastées ne s’est jamais bien éclairci en moi : entre le vert cru et ce rose « rosanna », entre la couleur de la chair et celle d’une fleur un peu rare… tout était enfermé dans l’image de l’hôtel Sirena.
Les clichés polaroïd d’Aldo Rossi font contrepoint à ses bâtiments très médiatisés. Côte à côte, ils composent une mosaïque de souvenirs personnels. Ce cabinet de curiosités, plein de surprises bonnes et mauvaises, dévoile un legs tout à fait unique; c’est-à-dire, l’architecture en forme d’autobiographie.
Diogo Seixas Lopes écrit ce texte alors qu’il visitait le CCA en 2011, à titre de participant au Programme pour les doctorants. Nous avons également présenté une sélection des clichés polaroïd d’Aldo Rossi dans notre exposition Luigi Ghirri / Aldo Rossi : des choses qui ne sont qu’elles-mêmes, en 1996.