Comment faire de l’architecture aujourd’hui?

Cette semaine, nous présentons À travers l’île, le premier chapitre du projet d’expositions et de films intulé Sur le terrain. Extrait du film À travers l’île © Joshua Frank. Texte extrait de notre infolettre.

Une histoire de rencontres

Francesco Garutti introduit Sur le terrain

Comment aborder la conception architecturale à l’ère actuelle? Nous vivons à une époque où les systèmes spéculatifs font passer les profits avant les besoins humains, où des crises sociales ébranlent les conditions de vie les plus élémentaires, et où l’effondrement écologique menace l’existence d’innombrables êtres vivants, humains et non humains, à l’échelle de vastes territoires et régions géographiques. Inévitablement, des questions sur la nécessité même de construire, sur la manière d’intervenir, et sur la gestion du parc bâti existant se trouvent au cœur des réflexions dans le domaine de l’architecture. Pour répondre à ces questions essentielles et structurantes, nous avons entamé un dialogue avec des pratiques dont les champs d’action et les méthodes visent à questionner, transformer et redéfinir ce que l’acte de produire des espaces signifie aujourd’hui.

Guidés par une urgence de comprendre les principales modalités par lesquelles les architectes tentent d’instituer un changement dans l’environnement bâti, nous avons décidé non pas d’attacher notre propos au résultat d’un projet donné, mais bien de documenter le développement du concept architectural dès ses débuts. Sur le terrain, un projet d’expositions et de films structuré en trois chapitres, s’intéresse au processus de construction des idées plutôt que des bâtiments. Il témoigne des réponses conceptuelles à divers contextes et situations, aux contraintes politiques et économiques, et aux transformations culturelles et géographiques. Les détours, échecs et changements de tactiques deviennent autant d’épisodes révélateurs qui permettent d’appréhender de nouveaux modes de pratique et des modalités critiques d’intervention sur les sites et dans les communautés.

Photographie de Francesco Garutti

Le premier chapitre, intituté À travers l’île, suit Xu Tiantian (DnA_Design and Architecture) sur l’île de Meizhou, au large des côtes chinoises, où elle crée une série d’interventions subtiles assurant la médiation entre les pressions patrimoniales et touristiques et l’écosystème marin. Le processus conceptuel de DnA débute par un diagnostic des sites d’intervention, en concertation avec les populations locales, en vue de comprendre les forces et les perturbations systémiques à l’œuvre. Intégrant les dynamiques des communautés et d’écosystèmes particuliers, l’intervention architecturale devient ici une pratique de réparation et de préservation.

Parfois, les interventions minimales de Xu n’entrent même pas dans le registre du bâti. En fait, sa démarche de restauration et de remédiation, de repositionnement et de réactivation pourrait être mieux décrite comme une forme de pratique curatoriale appliquée à des paysages tant physiques que sociaux. Tirant parti des compétences et des matériaux locaux, redonnant vie à d’humbles structures et technologies, toutes les stratégies qui caractérisent ce type d’intervention architecturale servent une démarche subtile, parfois presque invisible, mais radicale. Il s’agit d’un processus méthodique visant à assurer la survie de différentes formes de la culture rurale et à en soutenir l’évolution.

À l’été 2022, DnA reçoit une commande pour un musée à réaliser sur l’île de Meizhou, située au large de Putian, la ville natale de Xu. Réputé en tant que lieu qui a vu naître le culte de Mazu, déesse protectrice de la mer, l’île constitue un environnement où les pèlerinages religieux, le tourisme de masse, les techniques anciennes de cultivation et les strictes politiques de conservation coexistent en un équilibre précaire.

À travers l’île suit Xu dans sa découverte des éléments constitutifs, des points de pression et des enjeux se trouvant sur le terrain déstabilisant qu’est l’océan et son écosystème fragile. Régie par le rythme des marées et celui des rituels des cultures en mer, l’île de Meizhou constitue le cadre où s’est élaboré, à travers un dialogue avec les villageois, les pêcheurs et des experts en biologie marine, le concept d’un musée vivant implanté à l’échelle de l’île et ponctué par une série d’interventions stratégiques précises, au service de la population locale. À travers l’île représente un instantané d’un processus conceptuel fluide, une histoire de rencontres, un récit composé à partir des fragments d’un paysage fluctuant et d’une culture en évolution.

Les textes et images qui suivent documentent les processus d’exploration et de dialogue qui ont eu lieu en novembre 2023, lors d’une première visite à l’île de Meizhou pour le tournage d’À travers l’île.

Chemin de cultivation des vasières

Sur le littoral occidental de l’île de Meizhou, la mer se retire deux fois par jour, laissant à nu de vastes champs de cultures marines. Des piliers de pierre plantés en quadrillage sur les étendues de vase servent de substrat aux naissains d’huîtres. Cette méthode d’exploitation prémoderne tend néanmoins à disparaître au profit de techniques importées. Alors que les mollusques bivalves sont adaptés à une exposition périodique lors des marées basses, la culture contrôlée les maintient en suspension en pleine mer. Entre-temps, le savoir et les rites locaux inscrits dans le paysage sombrent dans l’oubli.

Ce projet recompose des éléments existants en vue de contextualiser les rythmes spatiaux inhérents au site. Des piliers collecteurs et des cages à poisson récupérés sont disposés en cercle d’un diamètre de cent mètres autour d’un îlot escarpé, un chemin aménagé à travers le paysage marin permettant de découvrir la réalité des fermes océaniques traditionnelles. Il s’agit d’un monument éphémère en l’honneur des cycles naturels et d’un musée vivant sur la relation ancienne, mais persistante, entre les populations locales et la mer.

Base de recherche sur les mangroves

Prisée des touristes pour ses rivages rocheux et ses plages de sable doré, l’île de Meizhou est également recouverte d’un paysage verdoyant qui couvre trente pourcent de sa superficie. Le parc écologique de la mangrove de Xitingao offre un accès restreint aux visiteurs, qui peuvent y observer des oiseaux et la luxuriante canopée depuis les hauteurs. Il s’agit également d’un laboratoire in situ sur le boisement, régulièrement fréquenté par les étudiants universitaires de la région qui font des recherches sur la résilience côtière.

Alors que la validation d’une proposition où un bâtiment existant était réutilisé comme base de recherche fut ralentie par des négociations avec le propriétaire des lieux, ce délai a fini par se transformer en une occasion de repenser le rôle de l’architecture sur un site d’une telle fragilité. Délaissant l’approche architecturale axée sur les besoins humains, ce projet s’oriente dorénavant vers les possibilités de réemploi adaptatif à l’usage d’autres espèces. Ainsi, la restauration d’un étang piscicole existant, imitant l’occurrence naturelle des cuvettes de marée, fournira un espace supplémentaire pour le développement de la biodiversité. En outre, la problématique de l’accès aux systèmes racinaires de la mangrove avec une perturbation minimale de l’écosystème, a donné lieu à des études sur l’emploi de matériaux écologiques.

Station d’eau renouvelable

L’île de Meizhou est particulièrement appréciée pour ses magnifiques paysages marins. Ses habitants vivent de l’abondante générosité de l’océan qui les entoure, mais la question de l’approvisionnement en eau douce s’y pose de façon impérieuse. Sur une île de quelque 40 000 résidents permanents, l’afflux annuel de trois millions de touristes exerce une pression excessive sur la consommation domestique d’eau. D’ailleurs depuis 2017, l’effectif de bétail est limité et l’irrigation pour l’agriculture restreinte sur l’île, afin d’endiguer la pollution de l’eau. Site pilote en matière de gestion environnementale en milieu rural, l’île de Meizhou fait l’objet d’un plan de restauration écologique de 15 millions de yuans. Ce projet, mené sur le terrain salin-alcalin du village de Beidai, illustrera des stratégies d’autoépuration et de gestion du sol. S’appuyant sur la topographie existante, la filtration des eaux grises se fait à l’aide d’une succession de bandes végétalisées, l’eau ainsi récupérée desservant une ferme éducative. Un grand bassin évoquant les étangs de villages historiques procure une infrastructure indispensable pour l’environnement local, tout en servant d’espace public visant à sensibiliser la communauté et les visiteurs à l’importance des ressources naturelles.

Centre d’écologie des algues marines

Les fermes marines des cultivateurs d’algues du village de Shanwei s’étendent au large de la côte nord-ouest de l’île. Entre la fête de la mi-automne et le Nouvel An lunaire, les treillis de bambou et de corde disposées sur l’estran servent à produire des algues rouges et forment un paysage spectaculaire. Les frondes récoltées sont cueillies à la main et mises à sécher au soleil sur d’innombrables treillis qui envahissent les cours familiales et l’enceinte des temples.

Cependant, la majeure partie de l’année, cette culture est un processus invisible. Les plantules microscopiques sont mises à incuber dans des bassins peu profonds installés dans des bâtiments passifs uniques à la région. Beaucoup de ces constructions sont tombées en désuétude, du fait de l’amenuisement du nombre des villageois qui transmettent aujourd’hui le métier à la jeune génération. Sur les mille familles ayant pratiqué cette profession à l’apogée de cette activité, seules cinquante s’y adonnent encore de nos jours. En restaurant ces installations mésestimées au sein d’un nouveau musée intégré au front de mer, le projet vise à augmenter l’afflux de visiteurs dans le village, et à y relancer l’activité économique pour le court terme, tout en préservant pour la postérité l’identité et le savoir-faire traditionnel de cette communauté.

Coopérative extracôtière

Alors que les algues et les huîtres sont cultivées sur les estrans intertidaux de la partie occidentale de l’île de Meizhou, à l’est, les eaux plus profondes du large sont destinées à la production de varech, de poissons et d’ormeaux. Cependant, les effets délétères de l’exploitation industrielle se faisant de plus en plus alarmants au cours de la dernière décennie, l’aquaculture s’est trouvée assujettie à des réglementations croissantes dans l’ensemble du pays. Bien que les mesures de correction imposées s’inscrivent dans le principe traditionnel d’une vie en harmonie avec la nature, les pêcheurs restent confrontés aux effets des changements climatiques et doivent composer avec eux.

Afin de concilier les préoccupations environnementales, économiques et sociales qui d’ailleurs se recoupent, cette proposition de coopérative de pêche consiste à adapter les bassins de pisciculture classiques en une structure modulaire pouvant accueillir diverses formes de culture et d’élevage. Le projet est conceptualisé à la fois comme un laboratoire opérationnel pour la polyculture et comme un déploiement écologique en plein air. Le parti-pris formel quant à lui s’inspire de la typologie et des techniques de construction des bateaux de pêche traditionnels, et fait appel à des matériaux durables et au savoir-faire local en matière d’arrimage de bambou.

Place du patrimoine immatériel

Au nord de l’île de Meizhou se trouve le terminus de traversier où affluent les pèlerins et les touristes, au gré des congés de fêtes et du calendrier saisonnier. Toutefois, cette gare maritime est aussi l’endroit où jour après jour, les pêcheurs ayant pris la mer pour subvenir à leurs besoins, ainsi qu’à ceux de leur famille et de leur communauté, amarrent leurs bateaux et débarquent leurs prises. Ce rituel de subsistance quelque peu banalisé est ici envisagé comme un patrimoine immatériel de l’île et c’est à ce titre que ce projet lui rend hommage. Le concept architectural vise à procurer à la fois un espace public pour les loisirs et un autre lieu pour organiser les célébrations traditionnelles, mais aussi — et principalement — un port d’accueil pour les pêcheurs qui retournent au village. Bien que le parti-pris pour ce pavillon fasse allusion au toit incurvé du temple ancestral de l’île, sa simplicité s’harmonise plutôt avec la monumentalité du monticule rocheux sur lequel il repose. Des marches permettant d’accéder à la plage sont aménagées dans les profondes entailles de la paroi rocheuse, creusées au fil du temps par la puissance cumulée des vents et des courants.

Sur le terrain est un projet d’expositions et de films structuré en trois chapitres. Le premier suivra Xu Tiantian (DnA_Design and Architecture) sur l’île de Meizhou, au large des côtes chinoises, où elle crée une série d’interventions subtiles assurant la médiation entre les pressions patrimoniales et touristiques et l’écosystème marin. Le second s’intéressera à la démarche de bplus.xyz (b+) à Berlin, qui concerte une initiative citoyenne à l’échelle européenne afin de provoquer l’évolution de la culture et de la législation vers une préservation et une réhabilitation du parc immobilier existant. Enfin, la série s’achèvera sur le travail de Carla Juaçaba en plein cœur du Minas Gerais, au Brésil, où elle développe des pavillons dans une plantation de café en tant que structures minimales soutenant la résistance collective envers l’agriculture industrielle extractive.

Documentées par une approche narrative cinématographique servant d’outil de recherche et accompagnées d’artéfacts, de documents, d’échantillons et de fragments de site illustrant un processus de réflexion continu, les histoires de Sur le terrain sont des morceaux choisis de divers cheminements de recherche et d’exploration, dont le chapitre ultime – le résultat final – est encore à venir et à conceptualiser, étant toujours ouvert et en construction.

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