Avec et au sein de

Tout site architectural est défini aujourd’hui par une conjonction de forces - économiques, politiques, environnementales - qu’une forme d’expertise unique et professionnalisée, comme l’architecture, ne peut déchiffrer à elle seule. Que ce soit dans les plus grandes villes ou dans les villages les plus reculés, le terme « bâtir » finit par être moins révélateur d’un processus de création que d’une coordination minutieuse d’influences contradictoires : une chorégraphie complexe. Ce dossier se penche sur la signification pour l’architecte d’opérer au sein d’un réseau enchevêtré d’acteurs et d’assumer une place plus modeste dans une riche écologie de pratiques.

Article 11 de 12

Construction circulaire et solidaire

Kim Courrèges et Felipe de Ferrari de Plan Común s’entretiennent avec Clara Simay de Grand Huit sur l’économie circulaire et la redéfinition du jeu d’acteurs

Derrière le poste de travail. Bureau de Grand Huit, Paris, juin 2021. Photographie © Grand Huit

La pratique comme projet

KC
Pouvez-vous nous présenter la philosophie de Grand Huit, sa structure et son fonctionnement?


GH
Grand Huit est une coopérative fondée par Julia Turpin, architecte, et moi-même. Fortement ancrée dans les territoires, chacun des sujets dont nous nous emparons est pour nous une opportunité de promouvoir des modèles durables en valorisant les ressources et les acteurs locaux. La coopérative est née d’un besoin de mettre en cohérence pratique professionnelle et engagement citoyen dans des associations locales de lutte contre les inégalités ou pour la préservation des ressources. Cet engagement bénévole commençait à prendre de plus en plus de place et comme l’architecture sait concentrer tous ces enjeux de société, nous avons amené toute cette expérience de travail bénévole au sein de nos projets pour leur donner justement des dimensions nouvelles. Cela nous a permis de replacer notre travail à l’articulation du social et de l’environnemental. Dans la pratique, plus concrètement, l’ancrage commence par un environnement direct de notre agence et de notre lieu de vie. Elle se situe sur le bassin de la Villette, accroché au Canal de l’Ourcq, dans l’Est parisien où nous vivons avec nos familles.

Le choix du statut juridique coopératif s’est imposé comme un modèle de gouvernance partagée au sein de notre équipe. La Scop a un statut un peu spécifique de coopérative et un historique dans le monde ouvrier. Sur le principe d’« une personne, une voix » au moment du vote, les décisions et les choix d’orientation de l’organisation sont horizontaux. Que vous soyez fondateur originel ou pas, vous n’êtes pas plus prévalent.

Le statut coopératif est de fait affranchi du système productiviste dans la mesure où il n’y a aucune dimension spéculative et que l’ensemble des gains est réinvesti dans le travail ou ses outils. Nous sommes fondatrices associées et cependant salariées de la coopérative.

C’est un modèle qui nous a paru assez évident dans nos fonctionnements et qui s’inscrit de fait dans une communauté d’organisations de l’économie sociale et solidaire. Cette notion de reconnaissance tacite de valeurs d’un réseau de structures associatives et coopératives crée chaque jour dans notre pratique des échanges et des synergie locales
KC
Quel est votre processus de travail et votre positionnement par rapport au jeu d’acteurs dans un projet?
GH
Je l’ai évoqué, nous avons pour les territoires une grande attention (habitants, associations, entreprises), car ce sont les vraies forces pour que les projets grandissent. Cela passe par un travail quotidien de lien tissés dans des rencontres du temps passé sur le terrain à échanger et un travail de veille et de cartographie de ceux qui font la ville autrement.

Il est très important pour nous de nous inscrire dans le temps long du lieu très en amont de sa création et très en aval dans sa vie future. Nous sommes impliqués dans des projets multi-acteurs, dans un cadre souvent bien plus élargi que celui de l’acte de construire. Notre réseau de partenaires s’élargit à toutes les personnes et structures de l’économie sociale et solidaire locales : artisans, associations sociales, lieux culturels, restaurateurs, jardiniers, etc. Au fil des besoins de nos projets et des usages qui s’y développent, les interdépendances entre nous tous s’enrichissent. Concernant les acteurs plus institutionnels comme les élus ou les structures publiques, nous travaillons de façon plus ouverte, plus transversale pour instaurer de la confiance réciproque, la possibilité d’échanges et bénéficier des compétences de chacun.

Une telle multitude et hétérogénéité d’acteurs impose une gestion spécifique. Nous essayons de proposer systématiquement, à la fois dans la gestion des phases « projet, études et chantier » et dans les activités du lieu futur, un système de gouvernance partagée pour que durant le développement du projet-même que nous allons porter, les nouveaux acteurs et les nouveaux habitants, qui n’étaient pas nécessairement présents au tout début, puissent ensuite trouver naturellement leur place dans le dispositif –- et que ce dispositif puisse maintenir une continuité après notre intervention. Nous tâchons de faire en sorte que le projet soit à l’image exacte des personnes qui l’on porté ici et maintenant mais qu’il puisse leur survivre malgré tout.

Aussi, nous considérons que le lieu est déjà en vie dès les prémices de préfiguration d’usages. Nous voulons effacer au maximum cette notion de date de livraison d’un objet urbain déconnecté –- qui est censée représenter l’achèvement de notre tâche –, où on remet les clefs. Nous avons un peu de mal à partir de nos projets. Nous restons encore en discussion mensuelle sur la suite, même s’il n’y a plus de sujet d’architecture directement. D’autant plus que les projets sur lesquels nous travaillons sont pour beaucoup dans le quartier où nous vivons et travaillons.

Sur le bord du canal. Bureau de Grand Huit, Paris, juin 2021. Photographie © Grand Huit

GH
En ce qui concerne notre position dans le jeu d’acteurs, nous cherchons à inventer avec les destinataires, à nous pencher à la fois sur les besoins des personnes pour qui nous travaillons et sur l’environnement plus large, du quartier, de la ville. Nous réunissons des acteurs qui ne sont pas directement impliqués dans la conception de projets architecturaux de manière traditionnelle; à ouvrir complètement le jeu d’acteurs en travaillant ensemble avec les habitants du quartier, les entrepreneurs du quartier, et aussi avec les élus. En ces temps de montée des extrêmes en Europe, c’est très important pour nous de ne pas lâcher cette dimension traditionnelle du politique, qui doit également être impliqué dans la démarche. Cela redonne une légitimité aux élus, les relie à leur territoire.

En réinterrogeant notre position en tant que praticien dans le rapport aux commanditaires, nous nous apercevons qu’en ouvrant ce champ-là, tout le monde est très preneur.

Agir sur la préservation des ressources à une échelle locale tout en créant des lieux pour des personnes qui sont dans des situations de grande précarité semble être le premier geste à faire en ville. Faire avec les matériaux délaissés que rejette la ville en donnant à ceux qui ont le moins leur place en ville c’est aussi apporter bien d’autres qualités pour tous, c’est notamment, on le constate, une démarche durable que tout le monde peut entendre.
FDF
Nous aimerions en savoir davantage sur votre méthode de travail au quotidien. Pouvez-vous nous expliquer comment vous gérez vos projets?
GH
Chaque semaine toutes les phases et les enjeux des projets sont partagés entre les membres de la coopérative. Un binôme composé d’un responsable et d’un soutien, se charge plus spécifiquement de la conduite de chaque projet.

Chaque projet est l’occasion d’une expérimentation nouvelle, de recherches sur des modes constructifs innovants et de financements pour faire des essais en laboratoire d’application de matériaux biosourcés ou issu de la filière de déchets de construction locale.

Si je regarde notre parcours sur quelques années, chaque lieu accompagné a marqué une étape de notre mutation, nous permettant d’aller toujours un peu plus loin et plus radicalement dans les sujets environnementaux. Notre position n’est jamais figée dans un mode opératoire et à vrai dire, tout reste ouvert. Par exemple sur notre prochain lieu, une réhabilitation d’un hangar ferroviaire dans le 19e arrondissement, nous avons choisi de nous installer in situ y compris pendant la période de conception et de concertation avec les futurs occupants afin de nous imprégner au plus près des potentialités de ce qui est déjà là et n’amener que ce qui est nécessaire aux besoins de ceux qui vont l’habiter.

Ne pas construire est devenu notre premier acte d’architectes. Conserver ce qui est déjà là, le valoriser avec les acteurs du territoire. Aujourd’hui nous avons décidé d’écarter tout projet de bâtiment neuf pour nous orienter uniquement sur de la réhabilitation d’existants.

Par ailleurs nous n’imaginons plus concevoir les bâtiments sans un dialogue constant dès les prémices avec ceux qui vont le réaliser. C’est nous semble-t-il nécessaire sur des techniques et des gestes d’éco-construction, mais cela est particulièrement vrai pour ce qui concerne le réemploi et la transformation de matériaux. Dans notre pratique quotidienne, nous sommes dans un dialogue très horizontal avec les artisans. Très vite, nous commençons à travailler avec eux le dessin du détail, le choix des matériaux. Il y a une interdépendance vertueuse, qui fait qu’on réinvestit et on re-responsabilise. On dépasse ce rapport infantilisant qu’on peut avoir vis-à-vis des entrepreneurs.

La question du réemploi des matériaux a une dimension autant sociale que d’écoconstruction et donc environnementale. Nous tentons sur chaque lieu d’identifier les besoins importants de matériaux et de les hiérarchiser en les confrontant aux gisements alentour qui sont à la fois les plus massifs en déchets de la construction et qui ont le plus d’impact carbone. Il faut ensuite mobiliser le réseau d’entreprises qui sera à même de collecter, de transformer, de valoriser. Ces artisans ne se trouvent pas forcément dans le champ du bâtiment traditionnel et nous devons aller chercher les compétences atypiques mais nécessaires à ces nouvelles mises en œuvre; par exemple des couturières pour travailler du textile en déchets, ou de la bâche pour faire des stores ou des cloisons amovibles. Ceci permet d’amener ces champs de compétence dans le projet mais aussi, parce qu’on s’adresse à des entreprises d’insertion, de leur ouvrir des marchés dans le champ de la construction. En tant que prescripteurs, nous nous considérons investis dans l’activité économique de ce réseau d’acteurs locaux avec des savoir-faire spécifiques.

Et puisque nous sommes prescripteurs, nous avons la responsabilité de créer des opportunités de marché pour ceux qui travaillent sur la question de la transition écologique. L’idée est aussi de participer à l’émergence de cette filière autour du réemploi et des matériaux biosourcés ou géosourcés, et de faire travailler ces entreprises en priorité, d’inventer les prestations qu’elles vont pouvoir ensuite développer et massifier ainsi la pratique pour les proposer à d’autres maîtres d’ouvrage. La notion de copyright ne rentre jamais en cause, on ne dépose pas de brevet. Toutes ces solutions sont développées en open source, avec l’idée de faire monter en compétence un réseau local d’acteurs économiques qui vont être sur le terrain.

Sur cette question de la montée en compétence, nous nous impliquons aussi dans les questions de formation; identifier des métiers et travailler à la formation des personnes, comme un menuisier, un charpentier ou un maçon, dans le cadre d’une économie circulaire. Nous abordons aussi des sujets tels que le réemploi de la pierre et du béton et la transformation des matériaux avec un impact minimum pour qu’ils retrouvent une place dans une nouvelle destination, mais en générant beaucoup d’activité et beaucoup de main-d’œuvre, pour tout type de qualifications.

Enfin la mise en œuvre de matériaux bio et géo-sourcés comme ceux de réemploi conduise à se reconnecter avec la matière même, ses exigences, ses propriétés. Ce que la prescription de matériaux sur catalogue en vigueur jusqu’ici ne permettait plus. Il y a eu une sorte de cécité des architectes vis-à-vis des ressources de leur territoire. Comprendre à nouveau la matière c’est aussi se reconnecter à des mises en œuvre affranchies du processus industriel carboné, des mises en œuvre souvent traditionnelles et vernaculaires telles que les enduits, les murs en pierre sèches, la tapisserie, les assemblages charpentiers et menuisiers…

Rangement légendé. Bureau de Grand Huit, Paris, juin 2021. Photographie © Grand Huit

Compréhension du contexte

FDF
Quelles sont les conditions et les contextes, aux niveaux local et parisien, dans lesquels Grand Huit opère?


GH
À Paris, nous sommes dans un contexte très dense, avec une pression foncière qui est très importante et qui laisse peu de place à l’initiative de transition et notamment à tout le champ de l’économie sociale et solidaire. Malgré l’économie du partage et la révolution numérique qui permet d’échapper à cette contingence spatiale, le lieu où l’on échange, où l’on travaille et où l’on vit reste l’outil fédérateur indispensable pour que les choses avancent.

Nous sommes dans un contexte de gentrification permanente. Nous le constatons bien dans les 18e et 19e arrondissements qui étaient, jusqu’à récemment, des quartiers relativement populaires. Paris devient à la fois une ville musée et dévolue à un certain type de commerce lié à cette économie carbonée qui, à notre sens, doit évoluer dans la ville. Il y a une relégation de plus en plus loin dans le Grand Paris d’une certaine population, y compris – et surtout – la plus précarisée. En même temps, il y a aussi ce frottement qui est permanent puisque les migrants et les SDF sont en ville, ils ne vont pas au fin fond du Grand Paris. Le peu de ressources qu’ils trouvent quand même sont au centre de la ville. L’enjeu sur lequel nous avons essayé de travailler c’est justement de leur redonner une place dans la ville par l’habitat et le travail notamment à la Ferme du Rail.

Il y a aussi la question de la réintroduction de la nature en ville. C’est un des enjeux urbains contemporain. Paris se trouve dans une forme de cécité par rapport à une ceinture agricole et forestière pourtant très présente. Dans tous les champs économiques et de réseaux d’échange, construction, alimentation, énergie…, nous sommes dans un système complètement absurde qui passe par des centrales de distribution alimentées par le commerce mondialisé déconnectées de leur territoire. Il faut revenir à ce lien de solidarité avec les producteurs locaux. Le fait que l’industrie ne soit pas en place, on peut presque le considérer comme une chance parce que maintenant il va falloir construire ce rapport de Paris à son environnement qui, paradoxalement, n’existe pas. Il est par exemple aujourd’hui quasi impossible de construire avec du bois d’Ile de France, la région parisienne, alors que les forêts composées de chênes et de châtaignier bien gérées, couvrent quasiment un quart de sa surface. Le peu de chênes récoltés part en Chine.

Paysagisme. ureau de Grand Huit, Paris, juin 2021. Photographie © Grand Huit

GH
Voilà le contexte parisien plus large. En ce qui concerne le contexte local, il y a des chaînons manquants pour promouvoir une architecture écologique. On se retrouve aujourd’hui avec des artisans un peu âgés qui n’ont pas transmis leur savoir-faire, alors que l’écoconstruction appelle souvent des gestes traditionnels. De ce point de vue, les artisans éco-constructeurs sont paradoxalement plus nombreux et structurés hors de Paris et sa région. Je pense qu’un rapport préservé au monde rural, totalement perdu à Paris, a favorisé l’émergence des filières.

Nous nous rendons compte en ce qui concerne le réemploi de matériaux qu’il manque des intermédiaires de collecte : d’où vient la matière dont on a besoin et où va la matière que la Ville va rejeter. Les choses bougent parce que beaucoup d’acteurs du bâtiment s’intéressent à ces questions de réemploi. Cependant, le tout recyclage a fait perdre un temps précieux. C’est un procédé commode auquel s’accroche les industriels du bâtiment pour faire du greenwashing. Il permet de rester dans l’ancien modèle avec la construction d’une usine avec des rendements, une rentabilité, un investissement et des actionnaires. Cependant, il entre rapidement en contradiction avec ses objectifs affichés car il va falloir rentabiliser l’usine et donc produire toujours plus de déchets. Pour le réemploi, il n’y aura pas d’usine. Ce seront plutôt des ateliers disséminés sur le territoire au plus près des gisements de déchets et des chantiers, à la limite une manufacture, mais pas beaucoup plus. Il va falloir s’adapter aux gisements colossaux de matières issus des déchets du bâtiment (estimés à 6 millions de tonnes par an pour la région).
FDF
Avant de créer Grand Huit, avez-vous étudié des modèles de référence, des personnes ou des associations qui travaillent justement sur l’économie circulaire?
GH
Une de nos référencea, c’est Rural Studio. C’est vraiment un modèle qui concentre tous les sujets qui nous motivent tous les jours; sur la question sociale, puisque c’est le premier chef, mais aussi sur la question du réemploi des matériaux. Il ne s’agit pas d’être dans une esthétique de récupération, il y a aussi cette nécessité de faire du beau et de continuer à faire son métier d’architecte en réinventant un champ de créativité. Réinventer une esthétique en se connectant aux besoins de la matière et de ceux qui vont pouvoir la transformer est aussi présent dans le mouvement Arts and Craft qui lui aussi s’est construit en opposition à un modèle productiviste

Architecture postière. Bureau de Grand Huit, Paris, juin 2021. Photographie © Grand Huit

Construire un cas pratique

KC
Pouvez-vous nous présenter le projet de la Ferme du Rail qui est un exemple emblématique de votre manière de travailler, de votre démarche architecturale et de votre approche face à la transformation de la ville ? Comment s’est déroulé l’appel à projets et la formation de votre équipe et quel a été votre rôle en tant qu’architectes tout au long du processus?


GH
Jean-Louis Missika, chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets de la Ville de Paris, lance en 2015 un appel à projets qui s’intitule « Réinventer Paris ». L’idée alors était de faire appel à des projets innovants.

Ce que proposait la Ville de Paris, c’était d’ouvrir un appel à projets sur une vingtaine de parcelles parisiennes à des équipes auxquelles elle proposait l’acquisition d’une parcelle sous conditions d’innovation, dans la façon de construire , dans les usages ou au niveau technologique par exemple. Il y avait aussi un petit paragraphe sur l’innovation sociale : quelle est la famille d’aujourd’hui? Comment travailler la réversibilité des bâtiments? Il fallait faire une proposition qui tienne compte à la fois de l’architecture, du montage d’équipe et des futurs usagers. Il fallait repenser toutes ces questions reliées aux enjeux sociétaux en allant chercher des gens de la société civile qui allaient donner corps à cette dimension d’innovation sous toutes ses formes, parce qu’ils sont des acteurs partie prenante du projet.

Il y a eu une parcelle dans notre quartier. Mélanie Devret qui est paysagiste et avec qui je travaille quotidiennement, Yves Reynaud qui est directeur de Travail et Vie, une entreprise d’insertion et moi-même sommes dans la même AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne). Nous avons commencé à discuter de cette parcelle et à y réfléchir ensemble. Yves Reynaud parlait souvent d’avoir dans un même lieu un endroit qui soit de l’hébergement qui accueille les personnes sans domicile fixe mais qui puisse aussi offrir une possibilité de se remobiliser dans une activité valorisante et de se former pour éventuellement accéder à un métier. En même temps, il était important de créer un lieu ouvert sur le quartier et de ne pas reléguer ces personnes à un endroit géographiquement éloigné, comme c’est souvent le cas. Un lieu d’ouverture qui accueille le public avec différents programmes : travailler, vivre, accueillir. Ces grands piliers sont restés du début jusqu’à la fin. Il fallait ainsi imaginer comment construire physiquement ce lieu avec cette dimension d’insertion très forte, même dans les choix constructifs, car les techniques choisies pouvaient permettre aux personnes faiblement formées de construire le lieu.

Nous avons ensuite monté l’équipe en cherchant des partenaires pour nourrir le projet sur différents aspects, pour qu’il prenne corps tout de suite et qu’il soit imprégné par ceux qui vont tenir compte des enjeux présents. Nous avons contacté un agro-écologue, Philippe Peiger, brutalement disparu récemment, qui était spécialisé sur les questions de la nature en ville, de la végétalisation des toitures, de l’agriculture. Nous avons aussi approché des acteurs plus classiques de l’écoconstruction, et même des restaurateurs.

Perroquet. Bureau de Grand Huit, Paris, juin 2021. Photographie © Grand Huit

KC
Côté financier, comment êtes-vous allés chercher les fonds?
GH
Dès le début du concours, il fallait démontrer que nous étions en mesure de lever des fonds. Il se trouve que Travail et Vie et ATOLL 75, qui sont les petites structures avec lesquelles nous montions le projet sur les questions d’usages, font partie d’un autre groupement avec qui ils avaient déjà créé une petite foncière de promotion pour un autre projet de réhabilitation de logements. Ils avaient donc le statut juridique pour pouvoir aller chercher les fonds, dont Frédéric Lauprêtre son directeur s’est chargé. Nous avons évalué les coûts à trois millions, ce qui est à la fois peu et beaucoup. La partie hébergement trouve des financements publics qui sont déjà connus et fléchés en France. En revanche, la partie d’activités –– la restauration par exemple, à laquelle nous tenions énormément –– était beaucoup plus compliquée à financer. Il y a eu un peu d’apports propres et d’emprunts, qui doit être à un tiers et une partie de subventions privées, de fondations, qui était un autre tiers. Il y a eu alors ce complément d’un dispositif qui a couvert le dernier tiers de 600 000 euros. C’est un plan d’investissement d’avenir qui est, en fait, un dispositif d’investissement pour redynamiser l’Est, le Nord-Est de l’Île-de-France, un territoire qui concentre beaucoup de difficultés sociales et sur lequel il y a eu des investissements régionaux importants. Nous avons ainsi bénéficié d’une partie de ces financements. Toute cette phase de levée de fonds est assez lourde. En France, la culture de la fondation est très peu développée, ce mode de financement anglo-saxon qu’on trouve aux États-Unis et, je crois, au Canada.

Bulle à maquette. Bureau de Grand Huit, Paris, juin 2021. Photographie © Grand Huit

FDF
Comment êtes-vous arrivés à travailler à différentes échelles en conciliant des personnes venant de différents milieux et communautés avec la bureaucratie française existante?
GH
Notre souhait collectif était de décloisonner des usages conventionnels en créant les conditions de rencontre des publics. Le public qui vient de la rue est très diversifié. Il n’y a pas un profil. Il fallait partir de manière transitionnelle du plus privé au plus partagé; de la chambre à un espace commun à chaque étage, et puis au restaurant par exemple. Le restaurant, qui est le resto du quartier où vous et moi pouvons venir manger, mais où, midi et soir, les personnes hébergées ont leur table et mangent la même chose que les personnes du quartier. C’était un élément très important et structurel du projet. En revanche au niveau de la bureaucratie, pour le financement d’un hébergement classique, il est exigé une kitchenette dans chaque chambre. En plus de générer des déperditions énergétiques, cette solution aurait favorisé le repli sur soi des personnes hébergées. Nous avons négocié et nous avons réussi à faire la démonstration qu’il y a des aménités supérieures proposées dans les espaces partagés aux résidents. Finalement, c’est grâce à la synergie des acteurs et des fonctions qui étaient mises en place que nous avons pu dépasser ce genre de question réglementaire et que nous sommes arrivés à atteindre les objectifs établis. C’est d’ailleurs la multiplication de compétences, chacun dans son champ, qui rend le collectif plus fort.

Plantes sous surveillance. Bureau de Grand Huit, Paris, juin 2021. Photographie © Grand Huit

KC
Quelles leçons avez-vous tirées de cette expérience qui pourraient être appliquées à d’autres projets?
GH
Nous n’avons plus jamais travaillé de la même façon depuis ce projet. Il n’était plus question de ne pas être impliqué dans la vie future du bâtiment. Il y a aussi une espèce de posture modeste par rapport à l’objet produit. Nous allons travailler bien plus systématiquement sur un écosystème dans le temps long plutôt que sur un bâtiment fini à un temps T. Nous ne travaillerons plus à produire uniquement un bel objet. Même s’il s’agit de lui donner une matérialité, c’est une matérialité qui d’abord doit pouvoir parler de ceux qui l’on mis en œuvre et fait évoluer, qui peut être réappropriée, qui peut changer d’identité et c’est à toi, en tant qu’architecte, de pouvoir permettre cela. En termes d’engagement, dans le projet « Réinventer Paris », les architectes ont acquis un nouveau statut. On les a vus capables de faire autre chose que de dessiner des plans, heureux de sortir de l’agence. Il y a eu une reconsidération, selon moi, de la profession.

Bulle à projet. Bureau de Grand Huit, Paris, juin 2021. Photographie © Grand Huit

Cette conversation est la cinquième et dernière d’une série d’entretiens que Plan Común a réalisés et qui sont diffusés à la fois sur ce site web et en vidéo dans les archives audiovisuelles OnArchitecture.

1
1

Inscrivez-vous pour recevoir de nos nouvelles

Courriel
Prénom
Nom
En vous abonnant, vous acceptez de recevoir notre infolettre et communications au sujet des activités du CCA. Vous pouvez vous désabonner en tout temps. Pour plus d’information, consultez notre politique de confidentialité ou contactez-nous.

Merci. Vous êtes maintenant abonné. Vous recevrez bientôt nos courriels.

Pour le moment, notre système n’est pas capable de mettre à jour vos préférences. Veuillez réessayer plus tard.

Vous êtes déjà inscrit avec cette adresse électronique. Si vous souhaitez vous inscrire avec une autre adresse, merci de réessayer.

Cete adresse courriel a été définitivement supprimée de notre base de données. Si vous souhaitez vous réabonner avec cette adresse courriel, veuillez contactez-nous

Veuillez, s'il vous plaît, remplir le formulaire ci-dessous pour acheter:
[Title of the book, authors]
ISBN: [ISBN of the book]
Prix [Price of book]

Prénom
Nom de famille
Adresse (ligne 1)
Adresse (ligne 2) (optionnel)
Code postal
Ville
Pays
Province / État
Courriel
Téléphone (jour) (optionnel)
Notes

Merci d'avoir passé une commande. Nous vous contacterons sous peu.

Nous ne sommes pas en mesure de traiter votre demande pour le moment. Veuillez réessayer plus tard.

Classeur ()

Votre classeur est vide.

Adresse électronique:
Sujet:
Notes:
Veuillez remplir ce formulaire pour faire une demande de consultation. Une copie de cette liste vous sera également transmise.

Vos informations
Prénom:
Nom de famille:
Adresse électronique:
Numéro de téléphone:
Notes (optionnel):
Nous vous contacterons pour convenir d’un rendez-vous. Veuillez noter que des délais pour les rendez-vous sont à prévoir selon le type de matériel que vous souhaitez consulter, soit :"
  • — au moins 2 semaines pour les sources primaires (dessins et estampes, photographies, documents d’archives, etc.)
  • — au moins 48 heures pour les sources secondaires (livres, périodiques, dossiers documentaires, etc.)
...