Architectures des soins
Huda Tayob dessine l'espace de la marge
Le dessin est un procédé essentiel pour les architectes. Ceux qui sont montrés ici suivent les conventions architecturales afin de rendre explicites des espaces subalternes – une pratique de soins. Les divers marchés et kiosques individuels sont situés à Bellstat Junction, un « centre commercial somalien » dirigé par des réfugiées au Cap, en Afrique du Sud. Bien que les questions concernant les réfugiés et les migrations se traitent souvent à l’échelle de l’État-nation, l’attention se déplace, par ces dessins, vers les espaces du travail, du domicile et de l’abri où se déroule la vie quotidienne.
Ces dessins et retraçages cartographient ma rencontre de ces marchés1. Ils ont été réalisés sur un an, suite à des conversations sur place. Le fait de dessiner à même ces marchés a ainsi donné lieu à de nombreuses discussions et questions à propos de ma recherche avec les propriétaires résidentes et est devenu un moyen de communiquer activement les unes avec les autres2. Mon adoption des conventions architecturales du plan et de la coupe découle de ma formation d’architecte. Les dessins, plutôt que des mesures précises avec valeur légale, sont basés sur des estimations et des approximations afin de créer des archives contingentes de ces intérieurs. Le détail correspond à des visites répétées et à une lente reconnaissance de ce qui importe à celles et ceux qui vivent dans ces espaces intérieurs et qui les créent. Les dessins illustrent donc la densité d’occupation, de même que les produits vendus, le mobilier et la vaisselle – en d’autres mots, des objets du quotidien qui ne figurent pas toujours dans les dessins d’architecture, mais qui sont rendus selon les conventions de représentation qui négligeraient autrement de tels espaces, les traitant comme s’ils étaient invisibles. Le fait de dessiner ces marchés nous demande de considérer ceux-ci comme des espaces dignes d’être reproduits. Contrairement à l’accent souvent mis sur la nature improvisée des espaces réservés au commerce informel, ces formes de représentation mettent en évidence l’existence très réelle de formes physiques construites, ainsi que les possibilités spatiales et matérielles concrètes de ce qui pourrait être considéré comme ad hoc. Ces illustrations expriment dans les détails du quotidien la façon dont les gens déplacés de force créent de nouveaux nœuds spatiaux afin de surmonter l’exclusion formelle.
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John Berger, Bento’s Sketchbook, Londres, Verso, 2015; Le cahier de Bento, Paris, Éditions de l’Olivier, 2012. ↩
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Gayatri Spivak, « Can the subaltern speak? », Marxism and the Interpretation of Culture, Cary Nelson et Lawrence Grossberg (dir.), Urbana, University of Illinois Press, 1988, p. 271-313. ↩
Ces dessins sont essentiels à la lecture des architectures complexes des soins. Ils constituent une manifestation de ce qui n’est pas réductible ou évacué par les mécanismes de contrôle1, proposant des archives marginales ou contraires à des sites affectifs, mais négligés. Comme le note Stuart Hall, la constitution d’archives représente un moment qui nécessite une réflexion approfondie. Par nature, l‘archivage comprend un positionnement conscient afin de construire un ensemble de catégories et de cadres conceptuels2. Écrire sur ces centres commerciaux somaliens en tant qu’architectures et les dessiner devient un moyen de reconnaître les façons dont les gens rendent leur vie vivable. À leur tour, les dessins sont des traces de ces vies, et une reconnaissance des pratiques quotidiennes de refus du statu quo et de construction d’espaces intimes. Ces sites fonctionnent donc sur le lieu instable de la précarité et de la possibilité, offrant tant un registre du passé qu’un cheminement pour l’avenir.
Huda Tayob a présenté sa recherche sur architectures transnationales des soins dans le cadre d’Outils d’aujourd’hui : Sur le terrain planétaire en 2020. Sa recherche est publié ici dans le cadre de notre dossier De la migration.