De La Migration

Les contributions réunies dans cette publication explorent les histoires de l’architecture sous l’angle des pratiques féministes de création du savoir. Les histoires architecturales féministes de migration à travers les territoires et les cadres temporels sont un moyen de contrer le discours de fixité si souvent véhiculé dans le récit sur l’environnement bâti. Cette collection de textes, dessins, et films est dirigé par Anooradha Iyer Siddiqi et Rachel Lee.

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Baignade sur la jetée des canots

Warebi Brisibe illustre l'espace des pêcheuses migrantes


Prenant en considération le rôle joué par la langue, l’art et les inflexions dans les sociétés autochtones pour donner un sens à la vie, Linda Tuhiwai Smith analyse l’utilisation des sources non textuelles, y compris l’orature, à travers les chansons, les contes et les chants, les sculptures en relief, les murales et motifs sur les murs, les scarifications de la peau, les croquis rupestres et les peintures, émettant l’hypothèse que ces formes d’expression inscrivent les paysages autochtones dans un cadre de référence différent des méthodes qui caractérisent les cultures eurocentriques1. Or, c’est leur emploi en tant que forme de description des réalités sociales, des expériences vécues et des événements chronologiques qui les rend incontournables à la fois comme vecteurs de manifestation et outils de recherche2.


  1. Linda Tuhiwai Smith, Decolonizing Methodologies: Research and Indigenous Peoples, Londres et New York, Zed Books, 1999. 

  2. Warebi Gabriel Brisibe et Ramota Obagah-Stephen, « Narration en images », Centre Canadien d’Architecture, https://www.cca.qc.ca/fr/articles/78653/narration-en-images

Baignade sur la jetée des canots. Dessin de Warebi Brisibe, 2011. © Warebi Brisibe

Cette esquisse à l’encre et au lavis était l’une des huit œuvres que j’ai réalisées lors de mes apprentissages auprès des pêcheurs migrants ijaw dans la zone d’eau saumâtre des régions de mangrove de l’État de Bayelsa au Nigéria et de la péninsule de Bakassi au Cameroun. La technique à l’encre et au lavis a été retenue pour créer une composition picturale originale explorant les notions d’espace, d’activité et de relations de genre sur la base d’entrevues avec des pêcheuses et des femmes cheffes de famille des camps de pêche migrante. Elle sert à combiner différents éléments nés de l’imagination plutôt que de l’observation et à les développer au sein d’une œuvre d’art pour proposer un aperçu du monde peu connu des pêcheuses migrantes.

J’ai voulu me servir du croquis pour montrer des aspects essentiels du paysage social, économique et culturel à travers le regard de pêcheuses adultes. Pour celles-ci, l’activité de pêche itinérante se décline en une série d’actions temporelles dans des lieux à l’accès partagé dans une zone aquatique ouverte qui s’étend des logis du camp de base à la mer ou, dans ce cas-ci, le fleuve1. Dans cet environnement, le temps est imparti à l’activité et l’activité à l’espace, dans un cercle vicieux socioéconomique. Il n’existe aucun moment perdu : le temps consacré au travail, à la famille et même au repos est toujours pris en compte en lien avec des activités précises se déroulant dans des espaces déterminés.

Dans un tel contexte, les pêcheuses adultes ont deux rôles possibles : celui de cheffe de famille si elles sont célibataires, divorcées ou veuves, ou celui de partenaire de pêche de leur mari et, dans certains cas, des autres épouses de leur mari. Outre les tâches consistant à attraper du poisson en posant des nasses ou en lançant et remontant des filets, elles sont aussi responsables de négocier un bon prix pour leurs prises avec les marchands de poisson, de fumer ce qui reste pour le conserver (opération qui se déroule souvent pendant les heures de sommeil), de s’occuper de la famille et de préparer les repas. Les femmes qui ne sont pas mariées assument toutes ces fonctions à elles seules.

Toutes les activités du camp de pêche migrante tournent autour du fleuve. Pour ces femmes, ce dernier n’est pas qu’une simple voie d’accès, mais sert aussi de terrain de cueillette, de zone de production, d’installation de bain, de sanitaires, de lieu d’enseignement et de jeu pour les enfants, entre autres choses. Il y a également la question centrale de la mobilité ou de la préparation à déménager vers une autre zone de pêche en fonction des déplacements des poissons pélagiques au cours d’un cycle annuel normal de pêche. Une telle mobilité a pour corollaire la réinstallation de tout ou partie de la famille dans une autre zone de pêche à une certaine période de l’année.

L’anticipation de la mobilité, en lien avec d’autres activités cruciales, a produit une définition sans équivalent des espaces, et une typologie du logement éphémère est venue établir les contours d’une architecture itinérante ijaw2. Dans ce contexte, les espaces ne sont pas réduits à des intérieurs délimités, mais s’expriment plutôt dans les relations entre formes bâties et nature. Cette circulation entre les espaces revêt une importance particulière pour la collectivité. Dans un environnement comme les régions de mangrove, les espaces sont conçus presque entièrement pour la fonctionnalité et rarement pour le confort, et les activités principales se déroulent dans les zones de transition ainsi que sur les voies de communication, par exemple la plateforme surélevée de la jetée des canots. Ce lieu en apparence modeste, construit à la manière d’une passerelle, accueille et réunit plusieurs activités. Il fait office de blanchisserie, de mouillage pour les canots, de comptoir commercial, de cuisine et de terrasse de détente extérieure, autant d’aspects associés à la pêcheuse. Comme espace de liaison, il relie l’habitation à l’élément vital de l’activité de pêche itinérante : le fleuve. Par sa dimension multifonctionnelle, il semble être le reflet d’une journée dans la vie d’une pêcheuse adulte et constitue donc le cadre idéal pour cette scène picturale de baignade.

L’esquisse défend l’idée que la conception du camp de pêche migrante ijaw est adaptée à la pêcheuse itinérante et à sa valeur sans équivalent dans une industrie artisanale en apparence dominée par les hommes. Considérant l’ampleur du travail et du temps consacrés à réussir une saison de pêche – ou parfois à simplement joindre les deux bouts –, le croquis tente de faire une synthèse de ce à quoi pourrait ressembler un moment de loisirs dans l’existence d’une pêcheuse sur ce terrain plutôt inhospitalier. Prendre soin de l’enfant sur la plateforme surélevée, véritable passerelle entre le fleuve et le logement, semble être l’unique acte qui a pour théâtre un espace pour une fois exempt de tout travail lié à la pêche.


  1. Dans une analyse similaire de l’architecture des pêcheurs côtiers au Sri Lanka, Shenuka De Sylva a observé que dans une communauté de pêche, les espaces accueillant les activités quotidiennes vont de l’habitation à la mer. Voir Shenuka De Sylva, « Contested Thresholds and Displaced Traditions of Fisher Dwellings: A Study of Traditional Sri Lankan Coastal Architecture », Traditional Dwellings and Settlements Review, vol. 20, no 1 (2008), p. 82. 

  2. Warebi Gabriel Brisibe, « The Dynamics of Change in Migrant Architecture: A Case Study of Ijaw Fisher Dwellings in Nigeria and Cameroon », thèse de doctorat inédite, Newcastle University, Newcastle upon Tyne, Royaume-Uni, 2011. 

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