Querido Amancio, organisée à l’occasion de notre nouveau fonds Amancio Williams, a donné lieu à une lecture publique de lettres personnelles, au cours de laquelle les participants - Emilio Ambasz, Florencia Álvarez, Giovanna Borasi, Fernando Diez, Kenneth Frampton, Mario Gandelsonas, Juan Herreros, Martin Huberman, Cayetana Mercé, Inés Moisset, Ciro Najle, Ana Rascovsky, Claudio Vekstein et Claudio Williams - ont commenté l’héritage d’Amancio Williams.

Martin Huberman a fait part de ce qui suit :


Cher Amancio,

C’est il y a exactement huit ans que s’amorçait ma relation avec tes archives, à la faveur d’une lettre adressée à ton fils Claudio, dans laquelle je lui demandais la permission de faire des recherches sur les sublimes « voûtes pelure » (Bóvedas Cáscara). À l’époque, mes intentions n’étaient que la célébration de ton œuvre par un projet de réinterprétation de tes dessins sous la forme d’un simple hommage. Mon essai visait, en outre, à profiter du centenaire de ta naissance pour partager mes volontés à une date qui, à première vue, semblait presque patriotique.

Je tiens à préciser que si ce projet s’est soldé par un échec cuisant, le premier d’une série, il a ouvert la voie à une manière de voir notre histoire à travers le fait d’agir.

Aujourd’hui, après maintes frustrations et certaines réussites, je ne trouve pas de meilleure façon de mettre officiellement un terme à notre relation que de t’écrire cette lettre d’adieu.

Je ne m’apitoierai pas sur mes projets avortés, puisque ta carrière en est truffée. J’ose dire que c’est ce positivisme, réitératif et presque aveugle, qui a suscité mon empathie envers ton œuvre. Je me suis senti interpelé par le rythme irritant qui résonne dans les projets, lorsqu’ils se heurtent aux institutions gouvernementales, culturelles, universitaires et socialist.
Non,
non,
non
et non.

C’est seulement à ce moment-là qu’on peut saisir le goût de cette conviction absurde sur laquelle se construit l’architecte : le demain n’est rien d’autre qu’un espace dans lequel quelqu’un nous dira enfin oui.

Et ainsi se sont effacés, au fil des années, les regards canoniques sur ton œuvre, désormais banalisés : Amancio l’utopique, l’incompris, le pionnier.

Mais celui qui m’a séduit à nouveau, c’est Amancio le têtu. De nouveau, puisqu’il semble que tout architecte argentin éprouve un amour basique, inconditionnel, fanatique, digne des Beatles, envers la figure du grand Amancio Williams. Je crois que, d’un côté, c’est parce que tu incarnes à la perfection le regard qui enveloppe l’horizon crépusculaire, avec lequel nous rêvons de nous construire comme professionnels; et de l’autre, parce que tu as réussi à définir une Œuvre, vénérée avec une majuscule, sans souffrir l’ennui de l’œuvre, construite avec une minuscule. Ou bien, je suppose, que c’est par envie de l’invraisemblable et interminable toupet qu’imposait le standard de ce que nous devrions être, en veillant sur notre démarche paresseuse d’étudiants dans la cage d’escaliers de la Faculté d’architecture de l’Universidad de Buenos Aires.

Dans mon cas, ça n’a pas été le toupet, l’Œuvre versus l’œuvre, le regard enveloppant pour admirer le couchant dans la pampa, mais le sourire, narquois et conquérant, que tu arborais fièrement dans la photo mythique où tu te dresses finalement sur les « voûtes pelure » (Bóvedas Cáscara), après quinze ans de gestion. Quinze ans. Le temps que le programme spatial étasunien a pris pour envoyer un homme sur la Lune. Un petit pas pour l’homme, mais un pas de géant pour Amancio.

C’est ainsi que je suis tombé sur l’Amancio lunatique, similaire à ceux qui, après avoir foulé notre seul satellite naturel, ne posent plus les pieds sur Terre de la même manière. Certains ont même prétendu qu’un morceau d’eux était resté là-haut. C’est aussi cela qu’exprime ton regard.

Peut-être le véritable motif du stratagème récurrent dans ton œuvre, la décision de restreindre au minimum le contact de tes édifices avec notre sol, n’est-il que la simple formalisation du désir jamais exprimé de ne pas t’enraciner dans notre terre, afin de participer à un tout.

Un détachement reconnaissable au travers duquel, et avec force maestria, tu as su faire de l’homogénéité boueuse du Río de la Plata et de la vastitude plate des pampas, des scènes génériques pour tes œuvres. Tes œuvres ne semblaient donc pas provenir davantage d’un lieu que d’un autre.

Je me demande si telle n’aura pas été la plus pure de tes volontés : appartenir à un registre éternel, et donc international, à un club où t’éloignait a priori une distance techno-géographique, mais où tu as pu brandir avec succès la proximité de ton œuvre graphique et épistolaire.

J’imagine qu’après tant d’années, ce lunatisme a fini par prendre la forme d’un battement émotif pour ta famille, qui l’a amenée à chercher un refuge pour tes archives dans des eaux internationales. Je trouve remarquable que ta famille ait pu supporter pendant des années, et de manière stoïque, le poids abyssal de tes archives, croyant aveuglément en sa valeur patrimoniale pourtant incalculable, et brandissant maintes fois l’épée de la frustration, confrontée à la fréquence négative à laquelle nous a habitués la réalité institutionnelle argentine.

C’est dans ce contexte qu’est née la dernière de mes défaites : le sauvetage de tes archives. Comme si quelque chose dans ton œuvre militait pour la mise en suspens et l’absence de conclusion, je me suis vu attiré dans une histoire prédestinée à mal se terminer. Un projet de sauvetage déguisé en numérisation, un terme qui, à ton époque, revêtait une autre signification, mais qui aujourd’hui ressemble à l’éther pour lequel tu te languissais. Durant mes années d’archiviste amateur, ton œuvre m’a permis de passer au crible une discipline qui se construit à partir de l’œuvre étrangère, qui s’organise en normes et protocoles, mais qui surtout aide à désarmer l’égo du projet, propre aux architectes et fondamental lorsqu’il s’agit de se consacrer à l’autre de manière obsessive. À travers ce projet, j’ai connu le drame, redéfini l’idée de patrie et ai pu toucher le fond du vide culturel qui survole notre discipline. Mais surtout, j’ai pu vivre à la première personne l’usure émotive qu’entraîne la protection d’un fonds d’archives.

Tandis que je me disais que ce n’était pas pour n’importe qui, je t’imaginais gâteux, comme quelqu’un qui orchestre de fausses funérailles pour observer de loin ceux qui le pleurent, te réjouissant en voyant que ta figure continuait à croître jusqu’au statut de mythe. Mythe aujourd’hui dédoublé : l’Amancio volé, victime par moments de l’extractivisme culturel, et pour d’autres le héros d’un récit hollywoodien de rédemption historique, célébrant les retrouvailles d’Amancio avec sa place dans l’histoire.

De mon point de vue, il est intéressant de voir que tes archives laissent transparaître avec richesse tes aspirations. Je trouve que, particulièrement à travers ta correspondance, qui a vécu une dévalorisation à l’ombre des dessins, les planches qui se croient des œuvres maîtresses, la quantité faramineuse de plans de détails et les infatigables itérations de tes essais, on peut distinguer que tu t’es toujours projeté vers l’extérieur.

C’est aujourd’hui ce même registre, le registre épistolaire, qui te remet à la hauteur de ce que tu croyais digne de ta figure, un lieu qui est sur toutes les lèvres, non seulement de ceux parmi nous qui te considèrent vrai, mais aussi de ceux que tu as toujours imaginé comme tes pairs.

D’aucuns prétendront que ce fut le destin, ou la justice historique, qui t’a consenti cet ultime désir, celui d’abandonner nos terres vers une éternité qui regorge de confrères architectes. Je ne peux m’empêcher de penser que, loin de la chance, du destin ou de quelque autre phénomène de l’ordre de l’indompté, ce qui t’a permis d’atteindre le chemin que tu as tracé secrètement dans les coulisses, c’est l’effort surhumain accompli par d’autres, en particulier les membres de ta famille, pour vanter ton œuvre.

Et c’est sur ce point que souffrent tous les récits ébauchés concernant ton nom : l’importance de ceux qui t’accordent un statut patriotique et patrimonial fragile, ceux qui te renvoient à l’histoire pour te partager avec le monde, ceux qui ont dépoussiéré ce qui avait été oublié pour promouvoir ta culture, ceux qui t’ont projeté dans un avenir qu’ils réclament pour eux-mêmes; ou bien l’illusion d’un effort futile pour d’abord te rendre hommage, puis argumenter afin de te secourir.

Mes paroles découlent de la lassitude, de l’usure et de ma propre frustration de l’échec, mais aujourd’hui, je ne crois plus ceux qui, comme toi, ont construit leur histoire à partir d’eux-mêmes, les maîtres qu’il faut protéger ad vitam aeternam du commun des mortels, dignes de notre sang, de notre sueur et de nos larmes.

Après huit années de négligence envers ma personne, je peux te dire que je préfère te tourner le dos et m’adresser à ceux qui ont fait de toi un grand homme.

Sur le plan stratégique, il n’y a rien de mieux que de se consacrer aux vivants, qui ont au moins la décence de répondre aux lettres.

Ton ami dans le temps,

Martin
Buenos Aires, 11 March 2020

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